Trente Indiana Jones au club Med |
Des étudiants en anthropologie sont confrontés à la dure réalité des fouilles archéologiques. |
Le professeur Claude Chapdelaine exhibe une pièce de poterie mise au jour sur le site de fouilles de Trujillo. Il est entouré de 4 des 30 étudiants ayant participé au stage; Vanessa Oliver-Lloyd, Steeve Ménard, Hélène Bernier et Elsa Legault. |
"Je pensais savoir à quoi m'attendre, mais dès la première semaine je me demandais réellement ce que je faisais là", raconte Elsa Legault. "À la fin, on peut savoir si l'on est fait pour ce travail et c'est pour cela que j'y suis allé", ajoute Steeve Ménard.
Hélène Bernier s'attendait à travailler dur: "J'ai quand même été surprise par le caractère répétitif du travail, déclare-t-elle. Cinq à six heures par jour à cogner avec une pioche!" Et ce n'est pas un travail de tout repos: "Il fallait se lever à six heures du matin, transporter des seaux de sable jusqu'à deux heures sous un soleil cuisant", souligne pour sa part Vanessa Oliver-Lloyd.
Ces quatre étudiants étaient parmi la trentaine d'autres du Département d'anthropologie ayant participé, pendant un mois, à un stage d'initiation à l'archéologie sur le site de fouilles du professeur Claude Chapdelaine au Pérou.
À les entendre, on pourrait croire que l'archéologie, ce n'est pas le Pérou. Pourtant, malgré le travail parfois exténuant, ils sont tous revenus enchantés -du moins ceux que nous avons rencontrés- et recommanderaient sans hésiter à tous leurs collègues de vivre la même expérience.
Cette expérience initiatique, c'est sur l'emplacement d'une civilisation disparue, la civilisation Moche (prononcer "motché"), qu'ils l'ont vécue. Les Moches ont prospéré pendant 800 ans sur la côte péruvienne avant de disparaître abruptement entre l'an 550 et 600 de notre ère. Le site des fouilles est situé à proximité de Trujillo, port de mer et troisième ville en importance du pays.
Trois groupes d'une dizaine d'étudiants chacun s'y sont relayés pendant les mois de mai, juin et juillet. Pour les uns, le travail consistait à déblayer un site funéraire afin d'étudier l'architecture particulière de ce lieu alors que d'autres devaient déblayer un secteur domestique dans une ancienne zone urbaine.
Au remplissage des seaux de sable succédait le tamisage, puis la récolte des précieux artefacts. En après-midi, chacun était de corvée de lessivage pour nettoyer les pièces, les étiqueter soigneusement et les classer. "Un travail fatigant, mais le soir nous étions fiers de notre journée", déclare Steeve Ménard.
Ils étaient fiers même si le sable ne rendait pas ses trésors chaque jour et même si le vent remplissait le puits creusé la veille. "La première semaine, c'était plutôt frustrant: on n'a rien trouvé du tout, raconte Elsa Legault. Mais il suffisait ensuite qu'on trouve le moindre morceau de poterie pour oublier toute la peine qu'on s'était donnée."
Hélène Bernier est quant à elle particulièrement heureuse d'avoir pu découvrir une autre civilisation. "C'est tout à fait différent d'un stage au Québec, où nous aurons tous à travailler. Là-bas, on peut encore faire des rapprochements entre l'archéologie et la façon dont les gens vivent aujourd'hui. Ils ont les mêmes types d'outils et les mêmes procédés de construction que les Moches."
Si les apprentis archéologues n'ont trouvé ni Graal ni arche d'Alliance, ils se sont toutefois enrichis d'une expérience unique. En lieu et place des trésors incas, il ont mis au jour des milliers de fragments de coquillages et d'os de poissons, ce qui éclaire les chercheurs sur les murs alimentaires de ce peuple.
"On croyait que les peuples prépéruviens avaient abandonné les ressources de la mer, relate Claude Chapdelaine. Il est maintenant indéniable qu'ils avaient une économie diversifiée."
La récolte de cette année a par ailleurs rapporté plus d'artefacts de toutes sortes (pièces de poterie, figurines, cendres, etc.) que ne l'avaient fait les fouilles cumulatives des années précédentes: quelque 4600 entrées de catalogue représentant entre 45000 et 50000 objets! Ceci permettra de mieux connaître les structures de la société Moche et ultimement les causes de sa disparition.
Un tel stage, pour lequel aucun préalable n'est exigé, s'effectue de préférence au début de la formation. "On rêve tous d'être des Indiana Jones, mais il faut laisser la place à la réalité, déclare Claude Chapdelaine. Comme on n'a pas de longue tradition archéologique au Québec, on ne sait pas toujours à quoi s'attendre alors qu'aux États-Unis et en Europe ce genre d'expérience est parfois vécu dès le secondaire. Il est donc préférable de savoir dès le départ si le travail pratique de terrain nous convient."
L'aventure fait toutefois grimper le coût des études: il en coûte au moins 3000$ pour s'inscrire à une telle activité, prix incluant les droits de scolarité, le transport, l'hébergement et la nourriture.
Sur ces deux derniers aspects, les stagiaires étaient plutôt gâtés. "Nous avions loué une maison dans un quartier bourgeois de Trujillo, avec cuisinière et femme de ménage. C'était presque le club Med", reconnaît Claude Chapdelaine. Des conditions jugées toutefois nécessaires à la sécurité des groupes, composés aux deux tiers d'étudiantes.
Et si l'on demande à ces futurs archéologues si c'est d'abord le Pérou qui les attire, le voyage ou l'archéologie comme telle, ils répondent à l'unisson: "Chacune de ces réponses!"
Pour le professeur, par ailleurs, la prise en charge de ces stages "relève du gène altruiste"! Mais juste retour des choses, il reconnaît que la contribution des étudiants est essentielle à l'avancement des recherches, confirmant par le fait même la théorie du gène altruiste...
Daniel Baril