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Les agriculteurs craignent peu l'effet de serre

Les changements climatiques ne sont pour eux qu'une préoccupation parmi d'autres.

Christopher Bryant  

Les études d'impact de l'effet de serre sur l'agriculture au Québec semblent ne donner que peu d'informations pertinentes pouvant guider les agriculteurs dans leurs stratégies d'adaptation aux changements climatiques.

C'est l'une des données qui ressort d'une recherche dirigée par Christopher Bryant et actuellement en cours au Département de géographie. "Les agriculteurs ont besoin de connaître l'importance de la variabilité climatique plutôt que les changements de conditions moyennes établis jusqu'ici par les études sur le sujet", explique le professeur.

De plus, il est très difficile, voire illusoire, d'essayer de mesurer l'impact des seuls changements climatiques sur les habitudes des agriculteurs parce que beaucoup d'autres facteurs socioéconomiques interviennent dans leurs prises de décision. Même si des études ont montré par exemple que l'effet de serre pourrait favoriser la culture du maïs et défavoriser celle des fèves, rien n'indique que les producteurs changeront leur culture en conformité avec ce scénario.

"Jusqu'ici, relate Christopher Bryant, les modèles de prévision partaient de l'hypothèse que les agriculteurs allaient se consacrer aux cultures avantagées par l'effet de serre. Mais dans les faits, ils ne réagissent pas de façon aussi linéaire et notre étude montre qu'ils peuvent choisir des moyens proactifs pour faire face aux changements climatiques observés."

Manque de données

L'équipe du professeur Bryant a sondé des groupes de producteurs céréaliers et maraîchers des régions de Montréal et de Québec afin d'évaluer le potentiel d'adaptabilité de cette industrie aux changements climatiques appréhendés. C'est ainsi qu'elle a constaté que des données du genre "une hausse de un degré en 20 ans" n'avaient que peu de signification pour les agriculteurs puisqu'ils estiment pouvoir s'adapter à un tel changement.

"Ils sont un peu trop optimistes, estime le chercheur. Le problème du changement climatique n'est pas bien compris, mais nous ne leur avons pas fourni les renseignements pertinents. Ils veulent en savoir plus sur les variations saisonnières, comme les écarts de température entre l'été et l'hiver, la fréquence et l'intensité des pluies, l'allongement ou la réduction des périodes de croissance ou de sécheresse, etc."

Avant de modifier leurs habitudes en fonction d'un changement climatique, les producteurs agricoles veulent également savoir ce qui se produira dans les autres régions du pays ou aux États-Unis. "Ceci est très difficile à établir, poursuit Christopher Bryant, parce que les diverses études n'ont pas porté sur les mêmes cultures et n'ont pas utilisé les mêmes méthodes. Si bien que l'on ne peut pas dire de façon absolument certaine quelles régions vont souffrir et quelles régions vont bénéficier d'un réchauffement."

Ils en ont vu d'autres

Les chercheurs ont également constaté que les changements climatiques ne sont qu'une préoccupation parmi d'autres pour les producteurs agricoles. Ces derniers doivent opérer avec une foule de facteurs en changement constant, comme les politiques économiques, les ententes internationales, les quotas, l'évolution technologique, les changements d'habitudes des consommateurs, la concurrence, etc.

C'est pourquoi ils sont confiants de pouvoir s'adapter à une variation de un ou deux degrés.

"Pour certains, les adaptations imposées par les changements politiques et économiques depuis 10 ans semblent plus considérables que celles causées par d'éventuels changements climatiques, souligne Christopher Bryant. La grande question est donc de savoir comment le système agricole peut s'adapter à l'ensemble de ces changements et mesurer sa vulnérabilité comme on le fait pour les autres industries. Il faut miser sur un système capable de s'adapter rapidement par la diversification des cultures, la prévision des changements de marché, de meilleures méthodes de gestion de l'eau et des sols, une prise en compte de la santé des consommateurs et des questions environnementales."

L'étude fait ressortir que les agriculteurs sont d'ailleurs en mesure de mettre en oeuvre de telles stratégies proactives. À titre d'exemple, le chercheur mentionne le virage de la "culture biologique" pris par certains producteurs, le développement du tourisme agricole et de l'autocueillette.

Mais cette habileté varie toutefois selon les régions et les types de productions. Certains maraîchers soulignent qu'ils doivent continuellement s'adapter aux fluctuations du marché et que le changement fait partie de leurs moeurs, alors que d'autres agriculteurs ne savent pas comment réagir et demeurent dans l'expectative devant l'éventualité de modifier leurs habitudes. La culture sociale locale, les interactions dans le milieu, les réseaux d'entraide sont également des facteurs influençant l'adaptabilité du producteur.

Cette étude exploratoire se poursuit de façon plus systématique avec des projets de terrain au Québec, en Ontario et aux États-Unis. À la demande d'Environnement Canada, le groupe de recherche a également mis un peu d'ordre dans la disparité des méthodes et des modèles d'analyse utilisés par les diverses études dans ce domaine afin de savoir ce qui est comparable ou non. La publication de ce rapport est attendue à la fin de l'année.

Daniel Baril


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