Pour sa culture personnelle, pour être heureux ou
pour se trouver une «bonne job»?
Pourquoi étudier
«quand il y a tant à faire», a-t-on envie d'ajouter
- en pastichant la chanson - tellement il est devenu un lieu commun
de croire que les études ne mènent pas à
grand-chose?
Signe des temps, si la question n'effleurait pas l'esprit des
baby-boomers, elle était au coeur du principal débat
organisé par les Services aux étudiants dans le
cadre de la Semaine de l'orientation et de l'emploi.
Suzanne Paquet, directrice des publications économiques
du groupe Transcontinental, a fait mentir le lieu commun. Rappelant
les données de Statistique Canada, elle a souligné
que le taux de diplômés travaillant dans leur domaine
d'études est de 76 % au baccalauréat et de 87 %
à la maîtrise. Le taux de satisfaction est respectivement
de 86 % et de 92 %.
Mme Paquet y est également allée d'un petit sondage
maison effectué auprès d'une quinzaine d'abonnés
travaillant en communication et en marketing; 87 % d'entre eux
travaillent dans leur domaine d'études. «Le lien
entre études et emploi est bien réel», conclut-elle.
Se tenir informé des secteurs en croissance, acquérir
le sens des responsabilités et de la confiance en soi,
ne pas craindre la mobilité à l'extérieur
du Québec, faire preuve «de ténacité,
de ténacité et de ténacité»
sont d'autres atouts favorisant l'employabilité.
Alexandre Chabot, étudiant en sociologie et secrétaire
général de la FAECUM, a fait valoir que si les études
sont rentables pour l'individu, elles le sont aussi pour la société.
Malheureusement, cette même société ne fait
pas la vie facile aux étudiants. «Le message que
nous renvoie la société est qu'il faut travailler
pour étudier. Cinquante pour cent des étudiants
travaillent pendant leurs études et ce n'est pas pour se
payer de belles voitures, quoi qu'en dise le recteur.»
Alors que l'avenir semble bouché, l'université doit
donner un espoir aux jeunes, rappelle-t-il. À son avis,
la formation universitaire les prépare mal à affronter
les changements technologiques et la globalisation des marchés.
L'amour de la connaissance...
Autre vision des choses amenée par deux autres conférenciers,
Jean Larose, professeur au Département d'études
françaises, et Jacques Dufresne, philosophe et fondateur
de la revue L'Agora.
Pour le professeur, la connaissance est une valeur en soi qu'il
convient de cultiver indépendamment des besoins. «C'est
une erreur de réduire l'éducation à son aspect
utilitaire», déclare-t-il. Ne craignant pas la controverse,
il avance que, si «la connaissance réduit le risque
de devenir fou», l'université est «le dernier
lieu où l'information est transformée en connaissance.
Elle y devient plutôt insignifiances abrutissantes et décervelantes.»
Jean Larose observe par ailleurs une régression sociale
vers l'irrationnel alors que traditionnellement l'université
a été fondée sur la raison. À son
avis, le but de l'université, donc des études, n'en
demeure pas moins «le bonheur des individus» et elle
doit pour cela privilégier la connaissance en elle-même
et fournir une formation générale.
«La formation générale, faite de la connaissance
des langues, de l'histoire, de la philosophie et des arts, est
celle qui prépare le mieux au monde de demain parce qu'elle
est la formation la plus souple et qu'elle permet d'acquérir
les autres formations. Dans le monde animal, la sur-spécialisation
entraîne la mort.»
... et du pâté chinois
Pour Jacques Dufresne, homme de grande culture et féru
de philosophie grecque, la «passion de la connaissance»
est également la meilleure raison pour étudier.
Selon ses propres termes, la connaissance de l'histoire comparée
de l'Europe et de l'Amérique lui permet de mieux apprécier
son hachis parmentier, mieux connu ici sous le nom de pâté
chinois. La connaissance de l'allemand lui procure le plaisir
de pouvoir réciter, à l'être aimé,
des poèmes de Nietzsche dans la langue d'origine.
«La connaissance est le meilleur ami des pauvres»,
ajoute celui qui dit s'acheter des vestons autrichiens. «Elle
se suffit à elle-même et constitue le seul plaisir
qui subsiste après la perte de la santé.»
Pour le philosophe, la question posée par le débat
est donc en soi une aberration. «Pourquoi faut-il faire
des lois pour obliger les jeunes à acquérir un tel
trésor? se demande-t-il. Pourquoi écoutent-ils du
bruit plutôt que de la musique? Pourquoi abaisser le niveau
des connaissances pour assurer la réussite? Pourquoi minimiser
les connaissances avec des conférenciers comme Albert Jacquart?»
À ce généticien de l'égalité
des races, Jacques Dufresne préfère le philosophe
de la race supérieure. Brandissant le Zarathoustra, l'oeuvre
où Nietzsche expose de façon allégorique
sa philosophie du surhomme, il déclare qu'il faut «savoir
admirer le maître et s'incliner devant sa supériorité».
À la même source, il en appelle aussi au sens de
l'ascèse de l'ermite pour trouver le bonheur en soi. «Pourquoi
laisser les adolescents rechercher la satisfaction immédiate
alors que s'ébauche les grandes lignes du désir?
La connaissance exige la renonciation à la satisfaction.
Pythagore exigeait cinq ans de silence de ses disciples.»
Quant au travail chez les étudiants, Jacques Dufresne n'a
pas voulu demeurer en reste avec le recteur. «Les étudiants
travaillent pour se payer des voyages en Floride. Le travail à
l'extérieur est une démission inacceptable et cela
se fait avec la complicité de la société»,
déplore-t-il.
Daniel Baril