Une chose étonne
le flâneur qui s'attarde au rayon des magazines des deux
librairies de l'Université de Montréal: malgré
l'environnement universitaire, on n'y trouve que très peu
de magazines scientifiques alors que les revues de nouvel âge
et de pseudosciences occupent une bonne place sur les présentoirs.
«Le distributeur laissait plus de revues scientifiques auparavant,
mais il a cessé parce qu'elles ne se vendaient pas, raconte
Pierre Moreau, gérant à la librairie du Pavillon
principal. Si une revue n'est pas vendue, elle s'élimine
d'elle-même», ajoute-t-il en précisant que
le Service des magasins n'a pas de politique sur le type de publications
laissées en consigne par le distributeur.
Les seules qui seraient refusées sont celles à caractère
érotique et, encore là, la pratique relève
plus du jugement du gérant que d'une politique officielle.
Lorsqu'on lui signale la présence de magazines aux contenus
parfois antiscientifiques, M. Moreau admet ne pas avoir inspecté
les rayons. «Je n'aime pas faire de sélection ou
de censure, dit-il. Contrairement aux livres, nous n'achetons
pas les magazines et le choix est donc laissé au distributeur,
qui reprend les invendus.» La consigne est donc de laisser
faire la sélection naturelle.
Lecture de vacances
Au cours de trois visites aux deux librairies en avril et en mai,
nous avons pu nous procurer cinq publications donnant dans les
pseudosciences et le nouvel âge: Énigma, Lumière,
Les mondes parallèles, Conscience nouvelle et Guide ressources.
Énigma , «la revue de l'actualité insolite»,
dévoile tout sur le tourisme des extraterrestres qui viennent
visiter notre planète la nuit. L'éditeur, Christian
Page, également fondateur de SOS OVNI Québec, signe
dans le dernier numéro un éditorial sur la pensée
scientifique. «L'opinion d'un astronome qui ne connaît
rien aux OVNI - et qui s'exprime sur ce phénomène
- est-elle plus valable que celle de Céline Dion sur les
trous noirs de l'espace?» se demande le plus sérieusement
du monde le chasseur d'OVNI.
Les mondes parallèles, «magazine ésotérique
international» basé en Belgique, ratissent large:
astrologie et mutation, pouvoir des plantes, astrologie védique,
égrégores, réflexologie, etc. Un article
prédit la fin du monde pour l'an 2000 alors qu'un autre
annonce le retour des Atlantes pour la même année...
Conscience nouvelle - magazine québécois sans date,
sans éditeur désigné et sans adresse connue!
- nous présente entre autres une entrevue non signée
avec Marie Lise Labonté, également connue sous le
nom de «mère des anges». La «contactée»
raconte ses échanges avec les anges Xedah et nous apprend
comment ne pas les confondre avec les anges gardiens.
La revue Lumière, «le magazine qui fait du bien»,
nous présente Neale Donald Walsh, un auteur qui ne se contente
pas de dialoguer avec les anges, mais qui converse avec Dieu lui-même;
et Dieu lui répond en prenant le contrôle de son
crayon. À lire également une entrevue avec Stéphane
Julien, un médecin qui explique de façon très
scientifique que «lorsqu'on se trouve en relation avec quelqu'un,
les deux karmas se jouent».
Avec une présentation qui n'a rien à envier à
Châtelaine, le Guide ressources est pour sa part un cas
limite. Entre des articles sérieux et de qualité
- comme une entrevue de Jacques Languirand avec Christiane Charette
-, le magazine par excellence des nouvel-âgistes fait la
promotion des produits de ses commanditaires, les homéopathes
et autres vendeurs de potions magiques. On y apprend par exemple
que quatre chercheurs sortis de nulle part ont démontré
qu'il y a «quelque chose» dans les dilutions homéopathiques
et que le secret de leur efficacité réside dans
les «trous blancs» créés par la dynamisation
des substances! Il suffisait d'y penser.
Les chaînons manquants
Selon les dires de Pierre Moreau, les clients des librairies seraient
donc plus friands de telles revues que de magazines scientifiques.
Les seuls du genre que nous ayons trouvés sur les présentoirs
sont Québec Science, Interface et Scientific American.
Ne cherchez pas Pour la science, La recherche, Sciences &
Vie, Nature, Sciences et Avenir, Sciences humaines, The Sciences
ou autres semblables.
«Nous n'avons pas de place pour tout tenir et nous ne pouvons
pas concurrencer les librairies du chemin de la Côte-des-Neiges,
fait remarquer le gérant. Les magazines ne sont pas notre
point fort et nous misons plutôt sur les livres. Nous avons
surtout des revues de mode qui intéressent principalement
les employées. Les étudiants ne sont pas consommateurs
de revues et peuvent d'ailleurs les lire à la bibliothèque.»
Mais la loi de la sélection naturelle cache aussi la question
de l'oeuf et de la poule. Plus de revues scientifiques attireraient-elles
plus de preneurs? Alors que les magazines de pseudosciences étaient
bien en vue dans des places de choix, les trois seuls titres scientifiques
étaient dans la rangée du bas. À notre troisième
visite à la librairie du pavillon des sciences sociales,
nous avons fini par dénicher un exemplaire de Québec
sceptique, revue qui donne la réplique aux prétentions
des pseudosciences; il était au fond de la dernière
rangée du bas, juste au-dessous des épinglettes
porte-bonheur à l'effigie des anges gardiens...
Le gérant de cette librairie, Alain Bolduc, en fonction
depuis quelques mois seulement, a reconnu que certaines revues
ne lui plaisaient pas. «Un ménage sera fait, a-t-il
déclaré. Les suggestions sont bienvenues.»
Daniel Baril