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Quelques îlots de vérité

Vingt ans de bioéthique à l'Université de Montréal.

Je ne pourrai jamais travailler avec cet homme», se disait le sociologue Guy Rocher quand il rencontrait David Roy, directeur du Centre de bioéthique de l'Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM). Le doyen des bioéthiciens canadiens était un homme pressé, toujours entre deux avions et dont les apparitions publiques étaient minutées à la seconde. «Presque de force, a badiné M. Rocher, j'ai dû reconnaître ses qualités. J'avoue que nos collaborations ont toujours été très productives.»

Avec le temps, M. Rocher a apprécié l'ouverture d'esprit de ce chercheur titulaire à la Faculté de médecine. Mais David Roy possède surtout une pensée et une action exigeantes. «Cette exigence, on ne la retrouve pas toujours dans la vie universitaire», a poursuivi M. Rocher.

Cet hommage et d'autres du même ordre ont ouvert un symposium marquant le vingtième anniversaire du Centre de bioéthique. Initiative du Dr Jacques Genest, ce centre n'était que le troisième au monde, en 1976, à se consacrer à la bioéthique, sujet aujourd'hui prisé chez les universitaires. Les conférenciers qui se sont succédé dans l'auditorium de l'IRCM ont abordé trois grands thèmes: la génétique, la confidentialité des données médicales et les soins palliatifs.

Trois grands enjeux pour les NTR

Selon la généticienne Patricia Baird, de l'Université de Colombie-Britannique, trois grands défis éthiques attendent la population au tournant du prochain siècle en ce qui concerne les nouvelles technologies de reproduction (NTR): la sélection sexuelle, le clonage et les possibilités croissantes de sélection génétique prénatale.

«Le clonage est évidemment rejeté par une immense majorité de personnes, a dit la spécialiste qui a présidé la Commission royale d'enquête sur les nouvelles techniques de reproduction et de génétique en 1993. Mais un sondage indiquait que 6 % des Américains aiment l'idée de posséder un jour son clone...»

Pour ceux qui trouvent cette affirmation alarmiste, Mme Baird a signalé qu'un de ses collègues, l'économiste Peter Nemetz, a assisté à une importante transaction entre les États-Unis et un pays «que je ne nommerai pas». Le roi de se pays se déplace toujours avec ses gardes du corps et... son donneur d'organes. En cas de besoin, ce dernier offrira des parties de son corps aux fins de transplantation. Il est payé pour ça.

Pour la transplantation, le clonage a un grand potentiel commercial. Le monde diplomatique rapportait, le 21 avril dernier, la création de Clonaid, une entreprise fondée à Las Vegas par des adeptes de l'église raélienne. Soufflet au visage de ceux qui avaient dénoncé les dérapages de la technologie ayant servi à cloner une brebis adulte en Écosse, cette entreprise espère attirer un million de clients intéressés à se cloner ou à cloner l'un d'eux.

Dolly en vedette

Dolly a d'ailleurs été l'une des vedettes du symposium, plusieurs conférenciers y faisant référence. Mais les spécialistes invités n'étaient pas des pourfendeurs de la science. Pour le généticien Charles Scriver, de l'Université McGill, la science est un «assaut sur l'ignorance» et a permis un remarquable progrès dans la connaissance.

Pour joindre l'image à la parole, il a projeté une photo de mariage. La jeune femme souriante serait certainement morte si l'on n'avait pas diagnostiqué très tôt chez elle une maladie génétique rare. Aujourd'hui mère, son enfant n'est pas atteint de ce mal.

Jan Stjernswärd, un conférencier suédois qui a travaillé pour l'Organisation mondiale de la santé après avoir été médecin au Kenya, a rappelé que les merveilles de la science ne concernent encore qu'une partie de la population terrestre. «En Afrique, on ne guérit pas d'un cancer. Même le cancer le plus bénin est fatal. Et la morphine, là-bas, n'en cherchez pas.»

Par contre, la mort a sur ce continent une signification autre que dans les pays développés. On accepte mieux l'inéluctable, alors que la technologie médicale des pays riches ne fait souvent que prolonger la solitude et la souffrance.

Pour David Roy, qui a beaucoup étudié la question des soins palliatifs, l'éthique soulève des questions complexes. Chaque problème doit être abordé avec une ouverture d'esprit qui permet l'interdisciplinarité. «Ce que je crois vrai dans l'absolu n'est qu'une île, a-t-il dit. Et quand j'essaie d'élargir mon point de vue, je trouve des milliers d'autres îlots de vérité.»

Mathieu-Robert Sauvé


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