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Accidents mortels: 10 % sont causés
par des camionneurs endormis

Pierre Thiffault fait son doctorat sur la vigilance au volant.

L'automobile a fait plus de victimes que les deux conflits mondiaux. Chaque jour, quelque part, des gens se tuent, se blessent ou perdent des membres sur les routes. Quand on pense que 90 % des accidents sont dus à l'erreur humaine, on se dit que la psychologie expérimentale peut contribuer à trouver des solutions à cette catastrophe.»

Le psychologue Pierre Thiffault sait de quoi il parle. Alors qu'il était enfant, son frère a été heurté mortellement par un véhicule en Suisse. Puis lui-même a frôlé la mort à quelques reprises sur les routes. Le plus récent accident s'est produit dans la nuit du 9 juin 1995, alors qu'il circulait à vélo sur le boulevard René-Lévesque. Une voiture roulant à grande vitesse en sens inverse, phares éteints, l'a heurté de plein fouet. Il a survécu par miracle, mais il a passé les six semaines suivantes à l'hôpital. On n'a jamais retrouvé le chauffard.

Quand, après sa convalescence, il a repris la thèse de doctorat qu'il avait entreprise sur la vigilance au volant, il était plus convaincu que jamais de la valeur de son sujet. «Environ 10 % des accidents mortels, au Québec, sont causés par des camionneurs qui se sont endormis au volant, explique-t-il. Et ce chiffre est conservateur. Je cherche donc à savoir s'il y a des façons de prévoir les conditions psychologiques qui prédisposent à l'endormissement.»

Selon le chercheur, qui s'est appuyé sur des théories éprouvées, les personnes extraverties sont moins performantes dans l'accomplissement de tâches exigeant de la vigilance. Les gens qui recherchent des sensations fortes seraient également désavantagés lorsqu'il s'agit de passer plusieurs heures sur une route monotone. Enfin, la dépendance par rapport au champ visuel, variable d'une personne à l'autre, pourrait nuire à la vigilance au volant.

Une Honda laboratoire

Sous la direction de Jacques Bergeron, l'étude de Pierre Thiffault s'appuie sur une expérience menée auprès de 60 personnes. Grâce à une Honda Civic enfermée dans le local F-405 du Pavillon Marie-Victorin et convertie en laboratoire de simulation de conduite, les chauffeurs conduiront pendant une heure sur une route droite bordée d'arbres à égale distance ou agrémentée de différents éléments disposés de façon aléatoire. Ces deux «paysages» permettront de démontrer que lorsqu'une route est trop monotone elle favorise les accidents dus à l'endormissement.

«Il n'y a pas de façon idéale d'évaluer la vigilance d'un conducteur, mais, en enregistrant les corrections qu'il exerce sur le volant, nous pensons avoir trouvé un bon moyen de le faire, explique le chercheur. Nos ordinateurs calculent 50 fois par seconde les mouvements du volant. Nous voyons donc facilement si le conducteur relâche sa vigilance, car même les mouvements de faible amplitude sont notés.»

Cette thèse survient à un moment où les accidents des camionneurs inquiètent les gestionnaires du système routier. Les accidents de camion sont extrêmement coûteux, en plus de faire de nombreuses victimes. «Il ne s'agit pas de juger de la compétence des camionneurs de profession, signale M. Thiffault. Mais si l'on peut sélectionner les nouveaux candidats en fonction de certains critères précis, les accidents pourraient diminuer.»

Une relation amour-haine

Il ne faut pas croire que Pierre Thiffault déteste tout ce qui possède un moteur et quatre roues. «Au contraire, dit-il. J'ai toujours été fasciné par l'automobile et la vitesse. C'est une espèce de relation amour-haine. Je suis un fidèle des courses de Formule 1. C'est pour moi un défi à la nature. Par contre, je sais que l'automobile est un accident dans l'histoire de l'humanité.»

Comme l'explique M. Thiffault, l'Homo sapiens a pris des centaines de milliers d'années pour s'adapter à son environnement. En quelques décennies, l'automobile a bouleversé ce rapport. «L'auto crée une fausse sensation de sécurité, car biologiquement nous ne sommes pas conçus pour circuler à 100 km/h. Prendre des décisions en fonction de telles forces en présence est plus délicat qu'on ne le pense.»

À grande vitesse, la perception de l'environnement, le traitement de l'information, la prise de décision et l'action se déroulent en un temps très court. La marge de manoeuvre est mince. «D'ailleurs, dans la majorité des accidents dus à l'erreur humaine, le conducteur déclare: "Je ne l'ai pas vu venir."»

Autre réalité, souvent tournée en dérision mais fondamentale: l'automobile est un prolongement affectif de celui ou celle qui la conduit. «Au volant d'une auto, toutes les pulsions peuvent s'exprimer. Les gens écrasés par leur patron, ou qui ont un complexe d'infériorité, peuvent enfin faire la loi sur la route.»

Les gens nés dans les années 1950 et après forment les premières générations à avoir connu l'automobile durant toute leur existence. Pierre Thiffault croit que l'on a le devoir de mieux comprendre ce qui lie l'homme à son auto. La psychologie expérimentale a un important rôle à jouer ici. «Je ne diminue pas l'importance de la psychologie clinique, mais la recherche peut nous apporter des réponses utiles dans ce domaine. Je crois que, si ma recherche y parvient, j'aurai contribué à ma façon à améliorer les choses.»



La fièvre du vendredi soir

Les statistiques québécoises indiquent que c'est le vendredi en fin d'après-midi, entre 16 h et 20 h, que se produisent la plupart des accidents de voiture. Trois chercheurs du Laboratoire de simulation de conduite, Richard Bergeron, Pierre Joly et Claude Dussault, ont voulu connaître la raison de ce phénomène et se sont postés à l'angle de la rue Christophe-Colomb et du boulevard Saint-Joseph tous les jours de la semaine (à deux occasions) pour noter le pourcentage de manoeuvres dangereuses effectuées par les conducteurs.

Leurs résultats, présentés à une conférence à Calgary en 1987, étaient concluants: «L'analyse de variances pour les deux sessions d'observation montre assez explicitement que le vendredi se démarque de façon statistiquement significative. Toutes choses étant égales, les conducteurs sont plus enclins à doubler par la voie de droite le vendredi sur le lieu que nous avons étudié. Un résultat secondaire est venu s'ajouter à la présente étude: la différence sexuelle. En effet, on a pu noter un rapport aussi élevé que 10 hommes environ qui doublaient par la voie de droite pour chaque femme qui effectue la même manoeuvre.»

Même s'ils ne sont pas récents, ces résultats ont permis de mieux comprendre que des circonstances psychoaffectives pouvaient influer sur la conduite automobile. Jusque-là, la littérature scientifique expliquant ce phénomène était peu crédible: on a même déjà «démontré» que les accidents du vendredi étaient dus aux cycles lunaires...

Aujourd'hui, d'autres recherches sont menées au Laboratoire de simulation de conduite. L'une d'elles porte sur les effets de l'utilisation du téléphone cellulaire par le chauffeur.

Mathieu-Robert Sauvé


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