Depuis plusieurs années,
l'idée que les PME sont les principaux moteurs de la création
d'emplois fait tellement partie du discours public que tous semblent
l'accepter comme allant de soi.
Mais au risque de passer pour un iconoclaste, un étudiant
au doctorat au Département de géographie, Richard
Shearmur, vient de porter un dur coup à cette idée
reçue. Poursuivant des travaux dans le domaine de la géographie
de l'emploi au Canada, il a voulu vérifier le lien entre
création d'emplois et présence de PME.
«Je me suis dit que, si les PME sont génératrices
d'emplois, cela devrait se traduire par moins de chômage
dans les villes où l'on en retrouve le plus. Mais ce n'est
pas le cas», déclare l'étudiant.
Avec son directeur de thèse William Coffey, il a procédé
à l'analyse comparative des données fournies par
Statistique Canada concernant la création d'emplois, entre
1991 et 1994, dans 59 villes canadiennes de plus de 25 000 habitants.
«La présence plus ou moins forte de PME dans ces
villes n'a pratiquement aucun lien avec la croissance des emplois,
a-t-il observé. Lorsqu'il y a un lien, c'est que la PME
est liée à un secteur géographique ou économique
favorisé. La période analysée est d'ailleurs
caractérisée par une reprise économique sans
création d'emplois.»
Dans un article publié dans la revue Dire, Richard Shearmur
précise que les villes avec plus de PME manufacturières
ont tendance à avoir une plus forte croissance des emplois
manufacturiers, mais que cette croissance est en grande partie
contrebalancée par des pertes d'emplois dans d'autres secteurs
économiques.
Selon l'étudiant, plusieurs études sur les PME ne
portent que sur le secteur manufacturier et les résultats
ne peuvent être généralisés à
l'ensemble de l'économie. «La création d'emplois
par les PME fait partie de la réalité dans certaines
régions, mais dire qu'il s'agit d'une règle générale
est indéfendable; c'est un mythe», soutient-il.
Il poursuit l'analyse pour voir si l'observation se confirme pour
la période de 1994 à 1996.
La fluctuation des PME
Les travaux de Richard Shearmur confirment à leur façon
les analyses d'autres chercheurs qui sont de plus en plus nombreux
à mettre en doute les données sur la création
d'emplois par les PME.
Il nous rappelle que le «mythe» a pris naissance dans
le sillon d'une étude américaine publiée
en 1979 et qui indiquait que plus de 60 % des nouveaux emplois
aux États-Unis avaient été créés
par des entreprises de moins de 20 employés. Ce type de
résultats s'est multiplié tout au long des années
1980.
Mais plusieurs auteurs remettent en cause la méthodologie
utilisée pour arriver à ces résultats. «La
méthode de calcul ne tient pas compte du phénomène
statistique de la régression vers la moyenne», souligne
l'étudiant.
Ce phénomène est lié à la fluctuation
de la taille des PME selon les conditions du marché ou
même des périodes de l'année. Au moment où
les premières données sur le nombre d'emplois sont
prélevées, certaines entreprises peuvent être
au-dessous de leur taille moyenne alors qu'elles auront atteint
cette taille lors de la seconde lecture. «Si l'on ne tient
pas compte de cette fluctuation, on surestime le nombre d'emplois
créés dans ces entreprises. Lorsqu'on départage
ces emplois, le nombre d'emplois créés est beaucoup
moindre.»
PME et néolibéralisme
Richard Shearmur ne s'est pas arrêté à ces
seuls facteurs et a poursuivi sa critique sur le plan politique.
«Si la création d'emplois par les PME est une idée
fallacieuse, il convient de se demander à qui profite cette
idée.» À son avis, ce sont surtout les multinationales
qui profiteraient de l'engouement à l'égard des
PME et de l'entrepreneurship.
«Les PME sont des sous-traitants et elles permettent l'exploitation
de la main-d'oeuvre à un coût moindre et à
des conditions - vacances, assurances, sécurité
d'emploi - moins bonnes que celles traditionnellement offertes
dans les grandes entreprises. Elles permettent aux transnationales
d'atteindre la flexibilité sans y investir directement»,
écrit-il dans Dire.
Les faveurs de la classe politique à l'égard de
ce type d'entreprises relèveraient donc, selon lui, de
l'idéologie néolibérale puisque cette orientation
n'est pas appuyée par la réalité empirique.
«L'État ne veut plus être responsable de la
création d'emplois et le mythe des PME lui permet de se
désengager. Dans un contexte où les doctrines économiques
néolibérales étaient moins prévalantes,
il est peu probable que la déification de la PME aurait
atteint le niveau d'acceptation actuel», conclut-il.
L'étude et les réflexions de Richard Shearmur ont
initialement été publiées dans la revue Options
politiques (vol. 18, no 1, 1997), une publication de l'Institut
de recherche en politique publique. Ce travail lui a valu le prix
Ludger-Beauregard décerné par le Département
de géographie pour le meilleur article rédigé
par un diplômé.
Daniel Baril