Même si la question
de l'effet de serre est toujours controversée, les indices
d'une tendance au réchauffement climatique continuent de
s'accumuler. Bhawan Singh, professeur de climatologie au Département
de géographie, vient d'ajouter d'autres éléments
de preuve inquiétants relevés cette fois aux Antilles.
Depuis 1940, une série de données enregistrées
tout autour de la mer des Antilles tend à indiquer que
la température de cette région se réchauffe.
Le réchauffement enregistré serait de 0,4 °C
aux Bahamas et de 2,3 °C à Porto Rico! Bhawan Singh
ne cache pas son étonnement, voire son inquiétude,
devant ces chiffres. «Ces données sont recueillies
sur ces îles où il n'y a pas d'augmentation des activités
industrielles et où la température est normalement
stable à cause de l'influence de la mer.»
Le climatologue s'est dit que, si ces relevés sont exacts,
le réchauffement devrait avoir pour effet de provoquer
une augmentation observable du niveau de la mer à cause
du réchauffement des eaux. Il est donc parti à la
recherche d'indices pouvant indiquer si effectivement le niveau
de la mer monte. Il a retenu pour cela quatre indicateurs, soit
la salinité des estuaires et des nappes aquifères
souterraines, le blanchiment des coraux, le niveau moyen des marées
et l'érosion des côtes à Trinidad.
Mais pourquoi Trinidad et les Antilles? Parce que la zone des
tropiques est la source de la circulation de la chaleur sur le
globe. Les premiers indices du réchauffement devraient
donc apparaître d'abord dans cette région. De plus,
Bhawan Singh est lui-même originaire de Trinidad et il connaît
bien son île. Il menait déjà, à la
fin des années 1980, une recherche financée par
l'ACDI sur l'irrigation des terres à Trinidad lorsque des
collègues de la University of Western Indies l'ont mis
sur la piste de la hausse du niveau de la mer.
Des cocotiers dans la mer
Au moins deux des quatre
indicateurs retenus révèlent des données
inquiétantes. Depuis 1987, le niveau moyen des marées
mesurées à deux endroits sur l'île a augmenté
de 8 millimètres par année au premier point et de
10,8 millimètres au second. «C'est le double de la
projection établie à partir des données topographiques
des satellites, qui indiquaient une hausse de 5 à 6 millimètres
par année», affirme le chercheur.
La mesure de l'érosion des berges indique elle aussi une
avancée de la mer sur les terres. Dix balises ont été
placées tout autour de l'île pour évaluer
si la distance qui les sépare de la mer augmentait ou diminuait.
Les relevés effectués deux fois par année,
soit une fois à la saison sèche et une autre lors
des pluies, indiquent à 9 endroits sur 10 un recul des
berges de l'ordre de un à deux mètres par année
depuis 10 ans.
Même constat dans une plantation côtière de
cocotiers, où les arbres ont été marqués.
Chaque année, une et parfois même deux rangées
de cocotiers disparaissent dans la mer.
Photo à l'appui, Bhawan Singh nous montre une plage où
il allait s'amuser quand il était enfant. Cette plage est
aujourd'hui jonchée de cocotiers jetés au sol par
l'avancée des eaux. Pour les besoins de sa recherche, il
recueille également les témoignages des vieillards
de l'île, qui lui confirment que l'érosion des plages
n'est pas le fruit de son imagination.
Les données sur la salinité de la nappe phréatique
et des estuaires sont quant à elles moins concluantes;
cette partie de la recherche ne s'est étendue que sur les
deux ou trois dernières années et devra être
poursuivie. «Même si la salinité est à
la hausse dans la plupart des lieux de prélèvement,
cette augmentation doit être confirmée par d'autres
analyses», souligne le chercheur.
Même chose pour le blanchiment des coraux. Certains échantillons
ramassés à 210 mètres de profondeur au large
de l'île de Tobago montrent des taches blanchâtres.
Des analyses sont présentement en cours pour déterminer
si ces taches sont dues au réchauffement de l'eau ou à
la maladie.
Enfoncement de l'île?
D'autres explications que le gonflement de la mer ont été
apportées pour expliquer la hausse des marées et
l'érosion à Trinidad.
«Il se pourrait, explique Bhawan Singh, que le fond de la
mer s'enfonce à cause de la surexploitation des gisements
de pétrole.» Au large des côtes du Venezuela
se trouve en effet le plus grand gisement pétrolifère
sous-marin au monde, exploité depuis plus de 100 ans. Le
vide créé par cette extraction pourrait faire en
sorte que le sol s'enfonce, entraînant avec lui l'île
de Trinidad.
À ceci s'ajoutent les millions de tonnes de sédiments
transportés chaque année par la rivière Orinoco,
qui se jette dans la mer à travers un large delta juste
en face de Trinidad. Les abords de cette rivière ont été
déboisés, augmentant la quantité de sable
transportée par la rivière. Par leur poids, ces
sédiments pourraient causer une déformation du fond
marin.
Pour savoir précisément si c'est l'île qui
s'enfonce ou la mer qui monte, il faudrait observer les minimes
variations de l'altitude de l'île par satellite. Bhawan
Singh a présenté un projet en ce sens.
Pour l'instant, les données l'incitent à pencher
en faveur de l'hypothèse du réchauffement. «Il
subsiste des éléments d'incertitude et les études
doivent être poursuivies à l'échelle des Caraïbes,
mais l'ensemble des données tend à indiquer une
hausse de la température entraînant une augmentation
du niveau de la mer qui cause un accroissement de l'érosion
et de la salinité des nappes aquifères», déclare-t-il.
Le réseau de télévision américain
PBS s'est intéressé à ces travaux du chercheur
montréalais à Trinidad et lui consacre une émission
de la série The New Explorer. L'émission d'une heure
sera diffusée le mercredi 21 mai à 20 h et s'intitulera
Is Trinidad Drowning?
Daniel Baril