On croit habituellement
que la télévision et Internet sont des médias
concurrents. Selon une étude actuellement en cours au Groupe
de recherche sur les jeunes et les médias (GRJM), ces deux
outils peuvent très bien cohabiter et être complémentaires.
Les données préliminaires de cette étude
d'André Caron, directeur du GRJM au Département
de communication, et d'Audrey Martin, étudiante à
la maîtrise au même département, étaient
présentées au Forum international sur les jeunes
et les médias, tenu en avril dernier à Paris sous
l'égide de l'UNESCO.
Trois cents chercheurs, producteurs, diffuseurs, éducateurs
et responsables de réglementation provenant de 45 pays
ont pris part à ce premier symposium international sur
les problématiques et les perspectives liées à
l'utilisation des médias par les jeunes.
André Caron est l'un des rares participants à avoir
traité des nouvelles technologies de communication. «Très
peu de recherches scientifiques ont mesuré l'utilisation
d'Internet par les jeunes, déclare-t-il. Nous avons donc
peu d'indices nous permettant de savoir pourquoi les jeunes utilisent
ce nouveau média.»
Il a donc entrepris de vérifier les habitudes d'utilisation
de la télévision et d'Internet auprès de
333 jeunes de 7 à 15 ans fréquentant le site Internet
des émissions jeunesse de Radio-Canada. Ce site, inauguré
en janvier 1996, présente huit émissions jeunesse
avec un contenu régulièrement mis à jour.
De 2500 à 3000 jeunes le fréquentent chaque semaine.
«Nous voulons savoir si un tel site peut devenir un complément
à la télévision et même renforcer l'écoute
télévisuelle des jeunes», explique le chercheur.
Effet de fidélisation
Contre toute attente, il a constaté que les filles fréquentent
Internet autant que les garçons et constituent même
55 % du groupe d'utilisateurs retenus pour l'étude. Ces
jeunes, dont la moyenne d'âge est de 12 ans, passent environ
trois heures et demie par semaine à naviguer sur Internet.
Plus des deux tiers indiquent déjà préférer
Internet à la télévision, mais aucun n'affirme
avoir modifié son écoute de la télévision
au profit d'Internet. Ce qu'ils aiment d'ailleurs le plus du site
de Radio-Canada, c'est de pouvoir obtenir plus d'information sur
leur émission préférée. Ils aiment
également répondre à des questionnaires,
participer aux concours et s'amuser avec les jeux offerts.
«Selon les dires des jeunes, la complémentarité
d'Internet et de la télévision est appréciée,
mais dans la mesure où les émissions de télévision
sont de qualité et divertissantes, conclut André
Caron. Les sites Internet ne pourront que rarement rivaliser avec
les émissions télévisées; au contraire,
ils permettraient d'augmenter la fidélisation à
l'émission. Mais si une émission est de mauvaise
qualité, Internet ne renforcera pas la cote d'écoute.»
La navigation des jeunes internautes n'aurait pas non plus d'effet
négatif sur leur socialisation. Ils deviennent plutôt
des experts vis-à-vis de leurs copains non branchés
qui veulent en savoir plus sur ce nouveau média.
L'étude montre par ailleurs que les parents semblent plutôt
libéraux quant à l'utilisation de l'ordinateur.
Sauf la préséance qui leur revient, les parents
n'ont pas de règles strictes au-delà de certaines
consignes sur les sites nécessitant une carte de crédit,
les sites violents et les sites pornographiques. Aucun parent
n'indique par contre recourir à un logiciel de blocage
pour empêcher l'accès à de tels sites. «Ils
semblent accorder une confiance privilégiée à
leur progéniture», constate André Caron.
La violence à la télé
Une autre étude actuellement en cours au GRJM et qui a
fait l'objet d'une présentation au forum de Paris tente
de désigner les éléments du discours public
concernant la violence à la télévision.
Sans chercher à distinguer le «vrai» du «faux»
dans ce débat, l'étude doctorale de Dominique Meunier
aborde plutôt la question sous l'angle du contenu et des
acteurs de ce qu'elle considère comme «un objet construit»
ou encore «un effort collectif visant à installer
une réalité que l'on nomme "violence à
la télévision"».
À partir d'articles publiés dans La Presse, Le Devoir
et Le Soleil au cours des 10 dernières années, elle
constate que l'accusation véhiculée par le discours
est forcément différente selon que l'acteur principal
est l'enfant, les parents, les pouvoirs publics ou les télédiffuseurs.
«Les enfants ne sont jamais accusés; c'est en leur
nom que l'on parle et que l'on accuse, observe Mme Meunier. Ils
sont présentés comme vulnérables, victimes
et possédant le droit d'être protégés.»
Lorsque les acteurs du discours sont les parents, ils sont tantôt
accusés, tantôt blâmés et tantôt
excusés: accusés de ne pas être assez vigilants,
blâmés pour ne pas bannir les jouets de guerre et
excusés parce qu'il est impossible de tout surveiller.
Les radiodiffuseurs, principaux accusés, accusent à
leur tour le public (qui se plaint de la violence tout en continuant
d'être attiré par elle), la recherche (qui n'établit
pas de lien entre la violence à la télé et
dans la société) et finalement les producteurs américains
(qui en mettent plein leurs émissions).
Le «discours» présente également des
interprétations divergentes des résultats de recherche,
qui confirment ou infirment l'effet de la violence. Selon l'étudiante,
les quotidiens font preuve d'incompréhension, quand ils
ne manipulent pas les résultats de la recherche dans ce
domaine.
Sur ce point, André Caron précise que la très
grande majorité des études - peut-être 80
% - indiquent une corrélation entre le temps consacré
à écouter des émissions violentes et le comportement
des enfants. «Le désaccord porte sur l'ampleur des
effets», souligne-t-il.
Par ailleurs, la violence n'a pas comme seul effet d'entraîner
l'agressivité. «L'enfant peut se désensibiliser
à la violence mais aussi s'identifier à la victime
et faire preuve d'empathie face à la violence sociale.»
La corrélation observée peut aussi être due
à la prédisposition de l'enfant à l'égard
de la violence et qui lui fait apprécier ces émissions,
convient André Caron. À son avis, la plupart des
enfants en milieu stable et équilibré ne seront
pas affectés dans leur comportement.
«Lorsque les médias ne font que présenter,
à partir des recherches, un point de vue pour et un point
de vue contre en les mettant sur un pied d'égalité,
ils déforment la réalité de la recherche»,
affirme le professeur.
Outre Dominique Meunier et André Caron - lequel faisait
partie du comité scientifique du forum de Paris -, l'Université
de Montréal était fort bien représentée
à cette rencontre internationale puisque pas moins de six
autres chercheurs d'ici y ont pris la parole, en plus de huit
jeunes chercheurs qui ont pu bénéficier d'un programme
de l'Office franco-québécois pour la jeunesse afin
d'assister à l'événement.
Daniel Baril