La commercialisation
de la recherche, ce n'est pas le rôle des universités.
Leur mission première, c'est d'assurer l'enseignement et
la recherche.»
Voilà ce que pense le Dr Alcide Chapdelaine, qui a été
professeur à la Faculté de médecine pendant
près de 33 ans avant de se consacrer à temps plein
au succès d'une firme montréalaise vouée
au transfert technologique: Theratechnologies. Cotée en
bourse, cette entreprise au capital de 21 millions cherche à
percer le marché avec une vingtaine de projets de recherche
imaginés et mis en route par des chercheurs de l'Université
de Montréal. La recherche de Léa Brakier-Gingras,
brevetée par l'autorité américaine en la
matière (voir page une), est du nombre.
Selon M. Chapdelaine, qui sera officiellement responsable de la
recherche et du développement de Thera-technologies à
la fin du mois (il est actuellement en «prêt de service»
par la Faculté), les universités doivent continuer
de mener des projets de recherche fondamentale. Provenant de l'État,
les fonds disponibles sont malheureusement insuffisants, déplore-t-il.
«La science évolue grâce aux recherches fondamentales.
Mais même quand un chercheur en médecine se consacre
à une recherche théorique, il veut trouver des solutions
à des problèmes réels; il s'agit donc toujours
d'une démarche orientée vers un résultat.»
En d'autres termes, les chercheurs mènent plus souvent
qu'ils le croient des recherches qui pourraient connaître
des débouchés sur le marché si des entreprises
comme Theratechnologies prennent le relais au moment opportun.
En effet, les universitaires n'ont généralement
pas l'expérience nécessaire ni le temps pour se
consacrer à l'exploitation des produits qui peuvent découler
de leurs travaux. «Nous sommes là pour prendre un
projet conçu à l'université et l'amener jusqu'à
la commercialisation», dit le Dr Chapdelaine.
C'est en 1991, par un appel public à l'épargne,
qu'a commencé l'aventure de Theratechnologies. Des investisseurs
ont créé deux fonds totalisant plus de 100 millions
de dollars (Medvedent et Lomedic) pour financer des recherches
dont le produit ou le résultat avait un fort potentiel
commercial. Une centaine de projets ont été retenus
au départ. Lors d'une seconde sélection, on n'en
a gardé que la moitié.
Quand les fonds de ces deux sociétés ont été
épuisés, on a créé Theratechnologies
afin de pousser l'exploitation un peu plus loin. Les fonds de
départ, totalisant 21 millions, ont été obtenus
grâce à une cotation en bourse.
«Les critères de sélection des projets étaient
le degré d'avancement - à quelle étape le
projet se trouve -, le coût du développement d'un
produit qui en découlerait, le marché potentiel,
la qualité de l'équipe qui y travaille et, enfin,
la possibilité d'obtenir des brevets», signale M.
Chapdelaine. Il précise que la qualité et la réputation
des chercheurs n'étaient pas les seuls facteurs en cause,
car l'entreprise a dû rejeter certains projets menés
par d'excellentes équipes.
Quant au projet de Mme Brakier-Gingras, il répondait admirablement
à chacun de ces critères, mais le brevet n'était
pas acquis. Évaluée par des experts du bureau des
brevets, la découverte doit être non seulement inédite
mais aussi inattaquable. En cas de litige, on doit pouvoir défendre
la propriété intellectuelle devant n'importe quelle
cour. «Pour obtenir un brevet aux États-Unis, il
en coûte environ 100 000 $, signale M. Chapdelaine. Mais
si des poursuites sont engagées, on atteint facilement
le million.»
Actuellement, Theratechnologies parraine 21 projets de recherche.
On en trouve dans le domaine de l'informatique, de la médecine
et de la pharmacologie. Mais une tendance se dessine: la thérapeutique.
L'entreprise a une trentaine de brevets à son actif. Mais
certains des projets qu'elle a financés sont déjà
sur le marché. C'est le cas d'une trousse en médecine
vétérinaire, d'un stéthoscope électronique
et de deux logiciels. Elle a actuellement deux spin-off, soit
des entreprises qui verront le jour subitement si l'on parvient
à rassembler tous les éléments nécessaires
à leur fonctionnement.
Mathieu-Robert Sauvé