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Tout ce qu'il faut savoir
sur l'équité salariale

En 1917, les lois canadiennes sur les normes du travail fixaient le salaire des femmes aux deux tiers de celui des hommes, soit ce qui était nécessaire à une travailleuse célibataire pour «subvenir à ses propres besoins». En 1994, le salaire moyen des Canadiennes dépassait à peine cette norme de 1917 pour se situer dans la pratique à 69,8 % du salaire des hommes.

Au Québec, la réalité est la même; en 1994, le salaire moyen des femmes représentait 70 % du salaire moyen des hommes malgré l'adoption, en 1976, de la Charte des droits et libertés de la personne, qui interdit la discrimination salariale fondée sur le sexe de l'employé. Pourquoi cette mesure a-t-elle eu si peu d'impact au point de nécessiter l'adoption, à l'automne 1996, d'une loi sur l'équité salariale?

«La disposition de la Charte est une mesure réactive - qui ne s'applique qu'en réaction à une plainte - souvent hors de portée d'une employée salariée isolée et non syndiquée», explique Marie-Thérèse Chicha, professeure à l'École de relations industrielles. Mme Chicha a présidé le comité de consultation créé par le ministère de la Condition féminine en 1995 et dont le rapport a servi de guide à l'élaboration de la Loi sur l'équité salariale. Elle vient également de publier un guide sur les modalités d'application de cette loi, L'équité salariale, Mise en oeuvre et enjeux1.

Lorsqu'une employée porte plainte pour cause de discrimination salariale auprès de la Commission des droits de la personne, les correctifs sont loin d'être automatiques. La Commission évalue d'abord la recevabilité de la plainte et, si elle la retient, ouvre une enquête afin de constituer la preuve de l'iniquité. L'employeur peut refuser les correctifs suggérés par la Commission, et la plainte est alors acheminée au Tribunal des droits de la personne, où les parties ont un droit d'appel. «Certaines causes sont devant les tribunaux depuis 1981», souligne Marie-Thérèse Chicha.

Il fallait donc un nouvel outil plus efficace pour corriger une discrimination systémique. Contrairement à la disposition de la Charte, «la Loi sur l'équité salariale est proactive, poursuit la professeure. Elle est basée sur la reconnaissance qu'il existe des catégories d'emplois et que les emplois féminins sont sous-payés par rapport aux emplois masculins équivalents. La loi fournit également un cadre pour redresser la situation.»

Persistance des préjugés

Dans son volume, Mme Chicha examine les différentes explications apportées par d'autres chercheurs pour expliquer l'écart salarial entre les hommes et les femmes. Ainsi, plusieurs études ont indiqué que l'écart serait lié à des facteurs comme la productivité, le niveau de scolarité, l'expérience de travail, le travail à temps partiel ou encore le degré de syndicalisation.

«Même en tenant compte de ces facteurs, il reste une part de 20 % à 30 % de l'écart que ces éléments n'expliquent pas, affirme Mme Chicha. De plus, même lorsque l'on tient compte de ces facteurs et même lorsque les femmes améliorent leurs conditions personnelles, l'écart reste le même.» L'élément de discrimination lié au sexe serait donc plus important que ce que certaines études laissent croire.

S'il y a des emplois dits féminins, c'est parce que les femmes, par un effet de système imprégné de préjugés à leur endroit, sont dirigées vers certains secteurs et exclues d'autres domaines, constate l'auteure. L'un des préjugés les plus fréquents est celui voulant que le salaire des femmes constitue un salaire d'appoint. Une idée qui ne peut plus être soutenue devant le grand nombre de femmes chefs de famille monoparentale et devant les données montrant que, sans le travail des femmes, le nombre des familles sous le seuil de la pauvreté doublerait.

D'autres préjugés encore plus fantaisistes laissent croire que les compétences requises pour des emplois féminins, comme l'aptitude pour les relations interpersonnelles, la patience, l'attention aux personnes souffrantes, sont des qualités innées qui ne résultent pas d'un effort d'apprentissage. Ou encore que ces emplois ne nécessitent aucun effort physique ou n'entraînent pas de responsabilités importantes.

Mme Chicha relève un phénomène qui infirme ces arguments et indique qu'il y a bien un effet de discrimination systémique à l'endroit des femmes. «L'entrée progressive des femmes dans une profession, écrit-elle, a un effet dépressif sur les salaires.» La présence des femmes entraîne «une perte de prestige de la profession et une réorganisation du travail qui tend à appauvrir les tâches féminines et à les rendre plus répétitives.»

Elle donne comme exemple le travail de bureau, exemple type de travail féminin. «En 1891, 80 % des employés de bureau étaient des hommes. Ces emplois représentaient une voie d'accès à des postes de gestionnaires et même d'associés dans les entreprises. À la suite d'une restructuration économique et de changements technologiques, une ségrégation professionnelle selon le sexe est apparue: le travail de bureau a été scindé entre postes de commis occupés par des femmes et postes de gestion occupés par des hommes. Les salaires des postes de commis ont baissé avec l'accroissement du taux de concentration des femmes.»

Selon Mme Chicha, des exemples du genre et les préjugés encore tenaces montrent que «la discrimination salariale n'est pas un phénomène superficiel et passager et [que] les pratiques qui tendent à dévaloriser le travail féminin sont fortement ancrées dans le marché du travail.»

Emplois de valeur égale


La Loi sur l'équité salariale cherche donc à corriger cette discrimination en obligeant les entreprises à établir un mode de rémunération égale pour des emplois de valeur égale. Ces entreprises doivent mettre sur pied un comité d'équité, composé aux deux tiers de représentants d'employés et d'un minimum de 50 % de femmes, afin de procéder à l'évaluation de chaque emploi des secteurs dits féminins.

Cette évaluation se fait à partir de critères comme les qualifications requises (scolarité, expérience, prise de décision...), les responsabilités (supervision, équipement, sécurité des personnes...), les efforts physiques ou mentaux (stress, concentration, force...), les conditions de travail (danger, déplacements, pollution...). Les emplois féminins qui obtiennent les mêmes cotes que les emplois masculins sont considérés à valeur égale et doivent rapporter des salaires égaux.

L'entreprise doit rendre les résultats de cette évaluation accessibles aux employés. Si cela est nécessaire, les correctifs devront être appliqués à compter de novembre 2001 et le rattrapage devra être comblé en 2005.

Cette procédure est encadrée par la Commission de l'équité salariale et est obligatoire pour les entreprises de 50 employés et plus. Pour les entreprises de 10 à 50 employés ainsi que pour celles ayant instauré un programme volontaire de relativité salariale, la loi accorde plus de latitude pour faire la démonstration que les normes d'équité sont respectées.

Même si le patronat québécois s'est opposé à l'adoption de cette loi, des mesures semblables adoptées en Ontario dès 1988 ont finalement été considérées comme positives par les employeurs, relate Mme Chicha. «La loi leur a donné l'occasion de rationaliser leur système de rémunération et de le moderniser en fonction du marché actuel. De plus, ces mesures ont eu pour effet d'améliorer les relations patronales-syndicales en réunissant employés et employeurs autour d'un objectif commun. Le patronat d'ici aurait préféré des mesures volontaires, mais les employeurs n'ont jamais montré de volonté à appliquer la disposition volontaire de la Charte...»

Une bonne loi

Marie-Thérèse Chicha estime que la Loi sur l'équité salariale est conforme dans son ensemble aux recommandations adressées par son comité à la ministre Louise Harel. Par contre, elle déplore certaines échappatoires.

«Par exemple, souligne-t-elle, les entreprises n'ont pas à remettre de rapport à la Commission de l'équité. Ceci peut représenter un danger là où il n'y a pas de syndicat. Aussi, les balises encadrant les petites entreprises sont peut-être trop floues. Il ne faut pas oublier que les PME sont nombreuses au Québec et que l'on y retrouve beaucoup de femmes.» La latitude laissée aux entreprises ayant un programme de relativité salariale la laisse également songeuse.

Elle aurait par ailleurs préféré que les cas litigieux soient adressés au Tribunal des droits de la personne plutôt qu'au Tribunal du travail, où les juges n'ont pas l'habitude de traiter des cas de discrimination.

Autre point faible, le budget. La Commission de l'équité salariale, sur qui repose le fardeau de l'application de la Loi, n'a qu'un budget de 2,5 millions de dollars, ce qui est moins de la moitié du budget de démarrage de la commission ontarienne en 1989.

Malgré tout, Mme Chicha demeure optimiste et considère que la loi québécoise est supérieure à la loi ontarienne. «Cette loi a déjà suscité une prise de conscience étonnante chez les femmes en emploi et les a sensibilisées à la discrimination salariale, ce qui est essentiel à la réussite du processus. Notre loi a également un impact favorable sur l'image du Québec à l'étranger et suscite l'intérêt d'autres gouvernements.»

Son volume, préfacé par la vice-présidente de la Commission des droits de la personne, Jennifer Stoddart, veut non seulement guider l'application de la Loi dans les entreprises mais amener employeurs et employées à ne pas perdre de vue qu'au-delà de la technicité le véritable objectif demeure la recherche d'équité.

Daniel Baril

1. Marie-Thérèse Chicha, L'équité salariale, Mise en oeuvre et enjeux, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1997.


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