Il n'est pas facile
de définir ce qu'est la conscience et certains scientifiques
pensent que l'être humain ne parviendra jamais à
en comprendre le processus.
Loin de se laisser décourager par le défi, le Centre
de recherche en sciences neurologiques tient présentement
(les 5 et 6 mai) un symposium international pour faire le point
sur l'apport des neurosciences et autres disciplines soeurs à
la compréhension de ce phénomène complexe
et intrigant qu'est la conscience.
Sans rechercher une définition de la conscience, le symposium
veut plutôt refléter la multiplicité des approches
qui permettent de cerner l'expérience consciente, soit
les mécanismes électrophysiologiques et neuroanatomiques,
l'étude du cycle éveil-sommeil, le rôle du
thalamus et du cortex, le langage, les fonctions cognitives, l'émergence
de la conscience chez l'enfant, les aspects évolutifs,
les perceptions visuelles et les états altérés.
Ce contenu ressemble beaucoup à celui d'un volume coédité
en 1954 par le Dr Herbert Jasper, un pionnier de la question,
et qui est demeuré célèbre, Brain Mechanisms
and Consciousness. Si les questions ne sont pas nouvelles, «les
progrès énormes dans l'observation des fonctions
supérieures du cerveau accomplis depuis 15 ans obligent
à refaire le point, déclare Vincent Castelluci,
directeur du Département de physiologie. Il y a quelques
années, le mot "conscience" était encore
tabou alors qu'il est maintenant devenu un objet d'étude
scientifique en soi.»
Une âme électrochimique
Les questions relatives à la conscience suscitent l'engouement
parce qu'elles se situent aux confins de la physiologie, de la
psychologie, de l'anatomie, de la physique et de la philosophie.
«Dix ans après mon volume, se rappelle Herbert Jasper
qui a atteint l'âge vénérable de 90 ans, le
Vatican a tenu un symposium sur les mêmes questions. Le
pape Paul VI nous a dit que notre champ était celui de
la science et le sien, celui de l'esprit. "N'essayez pas
de me dire quoi faire!" nous a-t-il prévenus...»
Ce que l'on appelle «conscience» peut en effet se
confondre aisément avec ce que certains nomment «âme»
ou «esprit». Les quatre organisateurs du symposium
font donc preuve d'une extrême retenue et d'une prudence
toute scientifique lorsque vient le temps d'aborder leur conception
de la conscience.
«Nous ne prétendons pas résoudre les problèmes
philosophiques que pose la conscience, signale le professeur Laurent
Descarries. Nous cherchons à comprendre les mécanismes
physiologiques sous-jacents à la conscience. Nous livrons
le matériel à ceux qui veulent réfléchir
sur ses aspects philosophiques. Il faut faire preuve d'humilité
et se contenter d'une approche descriptive.»
Mes interlocuteurs admettent tout de même que, pour eux,
la conscience est le résultat des processus chimiques et
électriques du cerveau, processus qui sont eux-mêmes
les fruits de l'évolution. «La majorité des
neurobiologistes reconnaissent que la conscience est un épiphénomène,
un produit dérivé de la vie qui est elle-même
le produit du hasard», déclare Vincent Castelluci.
L'un des conférenciers de marque invité au symposium,
Gerald Edelman, Prix Nobel de médecine, soutient même
que les neurones se livrent une lutte semblable à celle
de la sélection naturelle au cours du développement
du cerveau et que seuls les circuits les mieux adaptés
à la réalité seraient sélectionnés.
C'est ce que l'on a appelé le «darwinisme mental
ou neuronal».
«On parle de la conscience comme si c'était un élément
unifié, mais il y a de nombreux processus impliqués,
fait remarquer Laurent Descarries. C'est une association de plusieurs
fonctions qui ne sont pas toujours actives en même temps.
Lorsque je me réveille, par exemple, ce n'est pas "moi"
qui me réveille mais une partie de moi.»
Il y a donc plusieurs degrés de conscience et le sommeil
peut en être un. «Pendant le sommeil, une partie du
cerveau demeure sensible aux stimuli significatifs, ajoute Herbert
Jasper. C'est ce qui fait qu'une mère peut dormir dans
le vacarme et être réveillée par un soupir
de son enfant. Certains mécanismes de la perception, qui
font partie de la conscience, ne sont donc pas bloqués
par le sommeil.»
La multiplicité des centres traitant l'information sous-jacente
à la conscience pose d'ailleurs un problème aux
neurobiologistes lorsqu'il faut expliquer l'unicité d'une
image cérébrale. Un autre conférencier de
renom, David Hubel, lui aussi Nobel de médecine, est parvenu
à désigner les différentes zones qui entrent
en action et comment le cortex intègre l'ensemble de l'information
visuelle.
Un troisième conférencier vedette, Christof Koch,
collaborateur du Nobel Francis Crick, a enrichi la réflexion
sur ce problème de la perception en avançant l'idée
que l'oscillation électrique de 40 hertz des neurones d'un
cerveau conscient permet à ces neurones de se mettre à
l'unisson et de produire une image cohérente.
Un saut qualitatif
L'exemple amené
par le Dr Jasper, sur la mère endormie, peut également
s'observer chez les animaux. Votre chat ou votre chien qui dort
près du téléviseur allumé peut se
réveiller au simple murmure de son nom. Peut-on donc attribuer
une conscience aux animaux? Pour plusieurs scientifiques, cela
ne fait aucun doute et la conscience va même jusqu'à
la conscience de soi chez les grands singes. Mes interlocuteurs
font par contre une nouvelle fois preuve de prudence.
«Il est facile de dire où une fonction s'arrête,
mais il est plus difficile de dire où elle commence, souligne
Laurent Descarries. C'est comme pour la communication ou même
la locomotion. Si la conscience est l'émergence de plusieurs
processus également présents chez les animaux, il
y a tout de même un saut qualitatif entre l'animal et l'homme,
et le langage, qui caractérise l'humain, y est pour beaucoup.»
Certains pensent qu'il nous faudrait un autre saut qualitatif
aussi important pour pouvoir comprendre le phénomène
parce qu'à son niveau actuel la conscience ne peut résoudre
sa propre énigme. Pour le physicien Roger Penrose, par
exemple, la rationalité classique ne suffit pas; il a avancé
l'hypothèse, à la suite des travaux de cet autre
Nobel qu'est John Eccles, que la conscience est un processus quantique
se produisant dans les microtubules des neurones et qui, de ce
fait, possède un caractère non formulable. La conscience
serait une dimension de la réalité comme peut l'être
l'espace-temps.
À l'extrême de ce courant, qualifié de «spiritualiste-matérialiste»,
certains renouent avec le dualisme et en viennent à considérer
la conscience comme une entité autonome.
«En fait, il n'y a pas grand-chose que nous comprenons et
les difficultés auxquelles nous faisons face ne sont pas
uniques au phénomène de la conscience, rétorque
Laurent Descarries. Peut-on comprendre la réalité?
se demande-t-il. Mais ceux qui déposent les armes devant
les obstacles doivent laisser la place aux générations
suivantes.»
Ces difficultés amènent plusieurs personnes à
se tourner vers les pseudosciences, déplore Serge Rossignol,
directeur du Centre de recherche en sciences neurologiques. Il
a reçu plusieurs messages de gens soutenant que les prétendus
phénomènes paranormaux étaient des manifestations
de la conscience. «Ces gens manquent de points de référence
parce qu'on ne leur donne que très peu d'information scientifique,
dit-il. Si la science montre les limites de la connaissance, cela
n'autorise pas à croire n'importe quoi au-delà de
ces limites.»
«La nature est plus extraordinaire que les croyances paranormales,
ajoute Vincent Castelluci. Elle est source de joie et elle est
explicable. C'est aussi un message que notre symposium veut transmettre.»
Daniel Baril