La déréglementation
déjà en cours dans le domaine de l'énergie
risque d'être néfaste pour le Québec. C'est
du moins ce que soutient Louis-Gilles Francoeur, éditorialiste
au Devoir, qui participait le 11 mars dernier à un débat
sur l'énergie organisé par le Groupe de communication
verte du Département de communication.
Cette déréglementation fait suite au rapport déposé
il y a un an par la table de concertation mise sur pied par le
ministère des Ressources naturelles du Québec afin
de préparer l'élaboration d'une politique énergétique
et environnementale. Le rapport a conduit à la création
de la Régie de l'énergie dont l'un des mandats est
d'encadrer cette déréglementation.
Selon Louis-Gilles Francoeur, la logique initiale du rapport était
louable et visait la gestion intégrée des ressources
en avançant le principe d'une utilisation moindre et plus
efficace de l'énergie plutôt qu'une augmentation
de la production. Mais l'opération semble maintenant déraper
sous l'influence des tenants de la déréglementation.
L'éditorialiste a rappelé que des expériences
semblables ont été menées aux États-Unis
avec comme objectifs l'autonomie énergétique et
la réduction des coûts. «Au Québec,
dit-il, les prix sont déjà très bas et nous
produisons près de 50 % de notre consommation d'énergie.»
Il considère donc que les objectifs de la déréglementation
américaine sont déjà atteints chez nous.
Par ailleurs, les entreprises privées qui s'engagent aux
États-Unis dans la production, la distribution ou la vente
d'énergie doivent également investir dans le développement
de ressources alternatives comme l'énergie éolienne
ou l'énergie solaire. Mais rien dans les normes de la Régie
de l'énergie n'oblige les entreprises québécoises
à investir dans l'énergie alternative.
«Nous n'aurons que les effets pervers de la déréglementation,
déclare M. Francoeur. L'opération conduira à
la déstructuration du réseau d'Hydro-Québec
pour répondre aux lois du marché américain.»
L'expérience américaine a également montré
que la déréglementation s'est surtout avérée
avantageuse pour les clients industriels plutôt que pour
les consommateurs moyens. L'arrivée de producteurs privés
a permis d'abaisser les prix pour les gros consommateurs, qui
sont allés s'alimenter sur ces réseaux privés.
Les réseaux publics desservant la clientèle résidentielle
ont alors dû augmenter leurs prix à cause de la perte
des clients industriels.
C'est ce qui risque de nous arriver, craint M. Francoeur, lorsque
nos entreprises pourront s'alimenter ailleurs ou devenir autoproductrices.
«C'est un pari d'idiots», a-t-il lancé.
Potentiel éolien
Le président de Greenpeace Québec, François
Tanguay, craint lui aussi que l'aventure du libre marché
ne soit pas à notre avantage. Le marché local étant
plafonné pour Hydro-Québec, il ne lui reste que
le marché américain. «Si nous allons sur ce
marché, il faudra offrir la réciprocité dans
le contexte de l'ALENA», croit-il.
Hydro-Québec devrait alors adopter un comportement de multinationale
obéissant aux seules lois du marché, ce qui nous
placerait «devant un gouffre». De plus, bien qu'il
n'y ait aucune commune mesure avec la pollution engendrée
par les centrales nucléaires ou au charbon, l'hydroélectricité
n'est pas considérée comme une énergie propre
aux États-Unis, fait remarquer François Tanguay.
Il déplore donc que le Québec n'ait pas investi
dans la production d'énergie non polluante comme l'énergie
éolienne. «Nous avons le plus fort potentiel éolien
du continent, mais on ne retrouve aucune éolienne sur le
réseau d'Hydro-Québec alors que la Californie en
compte près de 20 000.» Le coût de l'énergie
éolienne serait par ailleurs en baisse alors que celui
de la construction de barrages est en hausse constante.
Face aux craintes exprimées par ces deux conférenciers,
Jean-Pierre Pellegrain, conseiller au ministère des Ressources
naturelles du Québec, a voulu se faire rassurant sans nécessairement
avoir été convaincant. «La privatisation d'Hydro-Québec
n'est pas à l'ordre du jour et l'ouverture du réseau
est sous l'autorité absolue de la Régie de l'énergie.
Rien dans la loi de cette régie ne permet de fractionner
le réseau de distribution et on ne change pas une loi comme
on veut», a-t-il déclaré.
«L'ouverture de notre réseau au transport d'énergie
aura un effet domino qui nous obligera à ouvrir notre marché
dans le contexte du libre-échange, a rétorqué
Louis-Gilles Francoeur. Nous serons passés de porteurs
d'eau à "turbineurs" d'eau.»
Daniel Baril