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Travailler autrement, vivre mieux?

Il faut trouver des solutions nouvelles aux mutations du marché du travail.

Selon le discours dominant, les compressions dans les programmes sociaux sont justifiées, car les temps sont durs. Aussitôt que l'économie connaîtra une relance, on assurera de nouveau la redistribution des richesses. Cercle vicieux: pour relancer l'économie, on coupe. Mais l'économie périclite; on coupe donc encore...

«Le citoyen, réduit au rôle de simple électeur, n'a le choix qu'entre plusieurs partis qui proposent cette même approche, dénonce le sociologue français Jean-Louis Laville, de l'Institut national de recherche scientifique. Il faut changer cette façon de voir les choses, prendre acte de certaines ruptures.»

Selon ce conférencier venu de Paris pour prononcer la conférence d'ouverture du troisième colloque Marcel-Rioux, tenu le 14 mars dernier, la mutation du monde du travail que nous connaissons aujourd'hui est de l'ordre de celle qui a marqué la révolution industrielle. Pour cette raison, il faut trouver des solutions nouvelles inspirées du présent au lieu de se rabattre sur des vieux moyens tirés d'un passé mythifié.

Voulant joindre le geste à la parole, le sociologue a lancé un vaste débat sur le chômage en 1995. Ce débat s'est élargi et est devenu un «appel européen pour une citoyenneté et une économie plurielle» et a remis à l'ordre du jour plusieurs thèmes chers à la gauche. Il en a expliqué les principaux points à la centaine de participants réunis à la maison de la culture Côte-des-Neiges.

Partage de l'emploi

«Premièrement, dit le sociologue, la réduction du temps de travail et le partage de l'emploi s'imposent. L'un ne va pas sans l'autre. Depuis 20 ans, en France, l'emploi se transforme de façon insidieuse. D'une part, avec les mises à la retraite, les travailleurs un peu plus âgés mais en pleine forme physique sont "expulsés" de leur milieu de travail. D'autre part, la création d'emplois à temps partiel renvoie les femmes à leur rôle traditionnel, car ce sont elles qui occupent ces emplois sans cesser de prendre en charge la vie domestique.»

Secundo, l'économie solidaire (l'équivalent français de «l'économie sociale» du sommet socio-économique de l'automne dernier) a rallié la plupart des signataires de «l'appel européen». Ce concept a trait à la création de nouveaux organismes ni privés ni publics, mais qui rassemblent des employés salariés, des bénévoles et des usagers qui ont les mêmes droits. Des coopératives comptant jusqu'à 50 000 employés et 10 000 bénévoles existent actuellement, selon ce modèle, en Italie. «Il ne s'agit pas d'un remède miracle contre la crise, explique M. Laville, mais de pistes pour de nouvelles modalités.»

Le troisième point, non le moindre, a suscité plus de controverses avant de faire consensus chez les signataires européens. Il s'agit de l'allocation universelle, que M. Laville, en bon Français, nomme workfare. Même si cette conception est incompatible avec la solidarité, le revenu minimal garanti a néanmoins plusieurs avantages, a reconnu le chercheur.

Le revenu garanti: remède magique?

Selon Marc Vachon, étudiant en sciences économiques et responsable des affaires académiques à la FAECUM, l'allocation universelle permettrait d'éviter l'endettement étudiant, ce qui diminuerait le nombre «alarmant» de faillites personnelles. De plus, cela éviterait aux étudiants de se chercher du travail pendant leurs études.

«En songeant à un revenu minimum universel accessible à tous les citoyens, signale quant à lui Gabriel Gagnon dans l'éditorial de la revue Possibles portant sur le thème du colloque, on ouvre la porte aux activités créatrices indépendantes de l'emploi rémunéré. On débouche aussi sur une critique nécessaire de la société de consommation, de la publicité et de l'argent qui la maintient au coeur de notre imaginaire.»

Mais l'allocation universelle, reconnaît-on, ce n'est pas pour demain. Le sociologue François Lamarche, de la CSN, a présenté le point de vue syndical sur les solutions possibles à la crise de l'emploi, mentionnant que son organisation appuie les initiatives de partage du temps de travail afin de libérer des postes. Mais ses propos, sinon sa présence même, ont été critiqués par un participant dans la salle. «Comment les syndicats peuvent-ils parler de créer des emplois, alors qu'ils ne cherchent qu'à protéger leurs membres?»

D'autres intervenants ont condamné le corporatisme universitaire qui se referme sur lui-même: «Alors qu'on pouvait autrefois proposer des projets aux universités à titre de chercheur autonome, aujourd'hui seuls les universitaires peuvent travailler avec des universitaires», a dit l'un d'eux.

L'avant-midi s'est terminé sur la conférence de l'andragogue Marie-Nicole L'Heureux (une chercheuse autonome...). Elle a notamment insisté sur les modalités de partage du temps de travail. Une telle politique devrait être obligatoire, sans quoi elle serait inopérante, et les heures «partagées» devraient être substantielles. «Couper une heure, ce n'est pas assez, dit-elle. On devrait réduire la semaine de 35 à 32 heures, avec une compensation pour les salariés à faible revenu.»

Le troisième colloque Marcel-Rioux, du nom d'un ancien professeur de sociologie à l'Université de Montréal, s'est terminé par le lancement du deuxième numéro de la revue Possibles, qui en est à sa 21e année d'existence.

Mathieu-Robert Sauvé


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