Si la science a pu contribuer
à la fabrication de la bombe atomique, de plus en plus
de scientifiques sont maintenant engagés en faveur de la
paix. Après l'Association internationale des médecins
pour la prévention de la guerre nucléaire, qui recevait
le prix Nobel de la paix en 1988, c'était au tour, en 1995,
de la Pugwash Conference on Sciences and World Affairs de recevoir
la prestigieuse récompense.
Le secrétaire général de Pugwash, Francesco
Calogero, professeur de renommée internationale de physique
théorique à l'Université La Sapienza de Rome,
était de passage à l'Université de Montréal
le 13 mars dernier à l'invitation du Centre de recherches
mathématiques (CRM). Il a profité de ce passage
pour donner une conférence publique sur la faisabilité
d'un monde libéré des armements nucléaires.
«Je suis optimiste», déclarait-il dans une
brève entrevue accordée à Forum. Cet optimisme
est fondé sur l'observation d'un changement des mentalités
qui s'installe progressivement dans les administrations politiques,
notamment aux États-Unis où des ministres de Bill
Clinton et même des généraux sont maintenant
convaincus de la nécessité de l'élimination
des armes nucléaires.
«Le gouvernement n'a pas encore accepté cet engagement,
mais le fait que ces personnes influentes soient à présent
de cet avis nous donne espoir», affirme le physicien.
Francesco Calogero s'est engagé dans ce combat pour la
paix lors de la crise des missiles cubains, en 1962. «Je
séjournais alors à Washington et cette crise m'a
profondément impressionné», déclare-t-il.
Il a adhéré à la conférence Pugwash
en 1965 et en est le secrétaire général depuis
huit ans.
Le scientifique considère par ailleurs que l'actuelle opération
de destruction de certains missiles nucléaires ne va pas
assez vite. «À raison de 1000 ou 2000 missiles détruits
chaque année aux États-Unis et en Russie, nous en
aurons pour 20 à 30 ans, dit-il. C'est beaucoup trop long
et ce n'est pas réaliste.»
La prolifération de ces armes, rappelle-t-il, avait pour
but de dissuader l'ennemi de les utiliser. «Les armes nucléaires
n'ont jamais été employées après 1945
et on reconnaît maintenant qu'il est impossible d'y recourir.
Les guerres du Vietnam et de l'Afghanistan ont montré qu'elles
sont inutiles. Si leur seule raison d'être est de ne pas
être utilisées, la logique nous conduit à
les éliminer.»
Le professeur se réjouit également de la cessation
des essais nucléaires, même si l'Inde n'a pas encore
ratifié le traité en ce sens. À son avis,
la fin des essais rendra impossible le développement de
nouvelles armes nucléaires.
Une discrétion efficace
Pugwash a joué un rôle actif dans la conclusion des
divers traités portant sur la non-prolifération
des armes nucléaires et chimiques signés depuis
les années 1970. C'est son travail dans les coulisses effectué
auprès des politiciens et des diplomates en faveur de la
destruction de ces armes qui lui a valu son prix Nobel.
L'organisme aurait été particulièrement influent
auprès des dirigeants soviétiques qui, jusqu'à
Gorbatchev, étaient peu enclins à accepter l'idée
de la destruction des armes nucléaires.
L'association tire son nom de la ville de Pugwash, en Nouvelle-Écosse,
où eut lieu en 1957 la première rencontre de 22
éminents scientifiques préoccupés par la
course aux armements. L'idée d'un tel regroupement de scientifiques
pour la paix avait été lancée deux ans plus
tôt dans un manifeste publié par nuls autres que
Bertrand Russell et Albert Einstein, et cosigné par neuf
autres scientifiques de renom.
Pugwash compte maintenant quelque 3000 membres, principalement
des scientifiques, des diplomates et des conseillers gouvernementaux,
provenant de partout dans le monde. Les membres y adhèrent
à titre personnel et non en tant que représentants
de gouvernements ou d'organismes.
Dans son action, l'association fait preuve de discrétion
et certains ateliers de discussion peuvent regrouper moins d'une
cinquantaine de participants. «Pugwash a choisi de mener
une action discrète pour éviter le risque d'être
utilisée à des fins de propagande», explique
le secrétaire général.
La renommée de Francesco Calogero est liée à
ses travaux, qui ont mené à l'élaboration
d'un modèle mathématique qui porte son nom et celui
de deux autres collègues, le modèle Calogero-Moser-Sutherland.
Il s'agit d'un modèle mathématique utilisé
en physique quantique pour décrire le comportement des
particules. Les trois physiciens étaient les conférenciers
principaux d'un atelier d'une semaine portant sur ce modèle
et organisé par le CRM.
Daniel Baril