Y a-t-il un lien entre
l'hyperactivité chez l'enfant de cinq ans et la consommation
de drogue à l'adolescence? A priori, ce lien ne saute pas
aux yeux, mais Richard Tremblay, directeur du Groupe de recherche
sur l'inadaptation psychosociale chez l'enfant (GRIP) et professeur
aux départements de Psychiatrie et de Psychologie, est
parvenu à l'établir.
«Nous avons mis en relief un profil de personnalité
qui correspond au profil de l'adolescent consommateur précoce
de cigarettes, d'alcool et de drogue», affirme le chercheur.
Les caractéristiques de cette personnalité sont
observables dès l'âge de la maternelle sous deux
traits particuliers: l'agitation ou hyperactivité et le
faible degré d'anxiété.
«Les enfants agités sont des enfants qui recherchent
des sensations fortes et toutes sortes de nouvelles choses qui
puissent les stimuler, explique Richard Tremblay. Plus l'enfant
est curieux, plus il est attiré par de nouvelles expériences.
Lorsqu'on ajoute à ce trait un faible taux d'anxiété,
qui incite le jeune à n'avoir peur de rien, on obtient
le profil de celui qui à l'adolescence sera porté
à expérimenter précocement le tabac, l'alcool
et les drogues.»
Et plus ces consommations débutent tôt, soit entre
10 et 14 ans, plus elles risquent d'être abusives et d'entraîner
une dépendance.
Taux de prédiction excellent
La corrélation a été établie au terme
d'une longue étude échelonnée sur une dizaine
d'années. En 1984, Richard Tremblay et Louise Mâssé
(Université du Texas à Houston) entreprenaient l'observation
comportementale de 1000 jeunes garçons issus de milieux
défavorisés à Montréal et placés
en garderie. Ils ont revu ces jeunes à l'âge de 10
ans et les ont suivis jusqu'à l'âge de 15 ans.
À cet âge, 47,5 % des garçons du groupe consommaient
de l'alcool et 30,5 % faisaient usage de drogues. Les deux traits
de personnalité retenus se sont avérés adéquats
pour prédire le comportement des jeunes dans une proportion
de 74 % des cas pour la consommation d'alcool et dans 77 % des
cas pour les autres drogues. «Pour ce qui est de la prédiction,
ce sont des taux excellents», souligne M. Tremblay.
Le groupe à étudier a été choisi parmi
les garçons de milieux défavorisés parce
que les chercheurs avaient plus de chances de trouver une clientèle
à risque parmi ce groupe. «Mais la théorie
vaut pour tous les milieux, précise le chercheur. La différence,
c'est que les mêmes caractéristiques, dans un environnement
plus favorisé, vont s'exprimer à travers des comportements
socialement valorisés. Le jeune deviendra, par exemple,
bon vendeur ou bon politicien.»
C'est surtout la qualité des rapports familiaux, plutôt
que le niveau économique, qui sera déterminante
dans le comportement qu'adoptera l'enfant classé «à
risque». «Les enfants hyperactifs des milieux plus
favorisés adopteront moins de comportements délinquants
parce qu'il y a moins de désorganisation familiale dans
ces milieux et qu'ils pourront ainsi s'en tirer mieux.»
Ceci a également été démontré
par la recherche du GRIP, qui a comparé les comportements
du groupe cible avec un échantillon représentatif
de l'ensemble de la population québécoise et canadienne.
Inné ou acquis?
Lorsqu'on ajoute à ces deux traits - l'agitation et l'absence
d'anxiété - une troisième caractéristique
qui est le manque d'empathie, nous obtenons le profil du délinquant,
voire du psychopathe. «L'absence d'empathie ou la faible
socialisation est le principal élément prédictif
de la délinquance», affirme le professeur.
L'observation de ces caractéristiques comportementales
dès l'enfance fait dire à plusieurs chercheurs qu'un
aspect génétique est lié à ces comportements.
«Il est évident qu'il y a une base génétique
à la personnalité, soutient Richard Tremblay. Mais
l'environnement social joue aussi un rôle déterminant
dans l'orientation de nos comportements; nous sommes nécessairement
le produit à la fois de nos gènes et de notre milieu.
La question n'est pas tant de savoir quelle est la part de chacun
mais d'essayer de comprendre quelle est la mécanique d'interaction
entre ces deux dimensions.»
D'autres chercheurs qui collaborent à cette vaste étude
font d'ailleurs porter leurs travaux sur ces éléments
génétiques en observant le comportement de jumeaux
identiques et non identiques en relation avec celui de leurs parents.
Dans la plupart des cas non pathologiques, la présence
d'une prédisposition génétique à la
base de comportements déviants n'est pas en soi un déterminisme
irréversible, comme l'ont montré d'autres travaux
du GRIP portant sur des programmes de prévention. Un premier
volet de ces programmes visait à mieux outiller les parents
afin qu'ils puissent intervenir de la meilleure façon possible
auprès de leurs enfants. Un second volet, implanté
dans certaines écoles, visait à développer
l'autocontrôle chez les enfants à risque et à
améliorer leur interaction avec les autres enfants.
«Les résultats à long terme montrent que l'impact
combiné de ces programmes a été positif,
déclare Richard Tremblay. Les garçons qui en ont
bénéficié ont mieux réussi à
l'école et ont eu moins de problèmes de délinquance
ou de consommation abusive dans leur adolescence. C'est d'ailleurs
l'une des rares recherches dans ce domaine qui soit concluante»,
ajoute-t-il.
De telles interventions auprès d'une clientèle ciblée
lui paraissent donc plus pertinentes et plus efficaces que des
mesures visant à interdire les commandites de tabac. «Ces
mesures visent l'ensemble de la population alors que le risque
n'est pas distribué de façon homogène dans
la population. Les enfants à risque commencent à
consommer tôt et ont besoin d'une intervention ciblée
et précoce.»
L'étude se poursuit toujours auprès du même
groupe de jeunes, qui sont aujourd'hui âgés de 20
ans.
Daniel Baril