Tout va bien ce matin,
chers auditeurs. Il fait beau, la chaussée n'est pas glissante.
Mais on signale un gros accident dans l'ouest de Montréal,
à un endroit qui n'est pourtant pas reconnu pour être
dangereux...»
Ce rapport de la circulation, capté par le psychologue
Jacques Bergeron en se rendant au travail le 12 mars dernier,
illustre un principe que les spécialistes de la route appellent
«homéostasie du risque». De nos jours, les
véhicules et le réseau routier sont plus sécuritaires
que jamais, le code de la route prévoit tout... Pourtant,
chaque jour, il y a des accidents. «L'homéostasie
du risque, une hypothèse populaire mais controversée,
dit que le facteur humain augmente le risque quand celui-ci diminue»,
explique M. Bergeron.
Ainsi, l'être humain derrière son volant «conduit
comme il se conduit», selon l'adage. Il va plus vite quand
il fait beau, relâche sa vigilance sur une route sans virages
et devient plus audacieux quand son automobile est puissante...
Grâce à une Honda Civic garée en permanence
entre quatre murs au Pavillon Marie-Victorin, M. Bergeron et des
étudiants des deuxième et troisième cycles
mènent des recherches sur le comportement des automobilistes.
Dans ce «laboratoire de simulation automobile» - le
plus perfectionné au Canada -, on a étudié
la conduite en état d'ébriété, l'attention
partagée ou sélective, la vigilance... Une des dernières
études tente d'évaluer l'impact du téléphone
cellulaire sur la conduite.
Trop de victimes
En 1995, au Québec, 4000 piétons et 3300 cyclistes
sont morts ou ont subi des blessures graves, ce qui représente
18 % de l'ensemble des victimes de la route. La même année,
900 personnes ont perdu la vie alors qu'elles circulaient en automobile.
Les accidents d'autos sont plus nombreux ici qu'au Canada anglais
ou aux États-Unis, mais l'Europe connaît plus d'accidents
impliquant des piétons.
«Nous sommes tous piétons à certains moments
et presque tous cyclistes et automobilistes à nos heures.
Il y a des similitudes entre ces usages, mais il y a aussi des
différences.»
L'hypothèse de l'homéostasie du risque, par exemple,
est contredite par le comportement des cyclistes, nuance M. Bergeron.
«Selon la logique en question, ceux qui portent le casque
de vélo devraient être plus téméraires.
On observe le contraire. Les cyclistes qui portent le casque et
munissent leur vélo de réflecteurs sont les plus
prudents. Ils respectent la signalisation, anticipent les mouvements
des conducteurs, cherchent à éviter les accidents.»
Chercheur associé au Centre de recherche sur les transports,
M. Bergeron et son équipe mènent des recherches
sur ce sujet depuis 15 ans. Il est venu en parler à des
étudiants d'un séminaire donné par Claire
Laberge-Nadeau, professeure à la Faculté de médecine
et directrice du Laboratoire sur la sécurité des
transports. Durant tout le trimestre, ce séminaire pluridisciplinaire
ayant pour thème la sécurité routière
a lieu devant des étudiants en génie civil, santé
communautaire, transport de matières dangereuses et soins
de polytraumatisés. Forum y assistait.
Ce que révèlent les recherches du psychologue, c'est
que le comportement des usagers de la route est modifiable. La
preuve en est que les décès dus aux accidents d'automobiles
ont diminué sensiblement depuis quelques années
à la suite de campagnes de sensibilisation et de mesures
contre l'alcool au volant.
Mais les automobilistes ne modifient pas facilement leur attitude.
Si on les compare avec les cyclistes et les piétons, ils
ne sont pas des modèles à suivre, comme le démontrent
trois expériences menées conjointement par le groupe
de recherche de M. Bergeron, la Ville de Montréal et Vélo-Québec.
Trois expériences
Les cyclistes modifient volontiers leur parcours le long d'une
piste cyclable si la chaussée est peinte d'une couleur
différente. L'expérience a été tentée
à l'angle de l'avenue De Lorimier et du boulevard René-Lévesque,
où les cyclistes trouvaient laborieux de joindre deux segments
de la piste est-ouest.
Quelques coins de rue plus loin, angle Berri et Sainte-Catherine,
ce sont les piétons qui ont adopté une attitude
différente grâce à une simple «suggestion»
colorée sur la chaussée. «À cet endroit,
on rapportait de nombreux conflits piétons-vélos,
dit le chercheur. Les piétons ne se souciaient que de la
circulation automobile quand ils s'apprêtaient à
traverser la rue. Mais les cyclistes avaient le feu vert. L'expérience
a démontré que la piste colorée en bleu suffisait
à modifier l'attitude des piétons. Ils font plus
attention aux vélos.»
Restait à voir comment les automobilistes réagiraient
devant une modification mineure et peu coûteuse du réseau.
La piste cyclable a donc été peinte en bleu à
l'angle des rues Rachel et Rivard, où plusieurs accrochages
ont été rapportés. Les résultats ont
été «décevants», dit Jacques
Bergeron. Les automobilistes ont très peu modifié
leur comportement. «Le cycliste doit donc conduire pour
deux, car l'automobiliste ne prête pas attention à
lui.»
Mathieu-Robert Sauvé