En Suisse comme au Québec, l'isolement chez les personnes
âgées est un facteur de malnutrition qui concourt
à la dégradation des conditions de vie de nos aînés.
Ce thème était au centre d'un colloque organisé
le 27 février dernier par un groupe d'étudiants
à la maîtrise du Département de nutrition
sous la conduite de Yves Fillion.
Parmi les conférenciers invités, le Dr Charles-Henri
Rapin, du Département universitaire de gériatrie
de Genève, est venu exposer les résultats de différentes
études sur la sous-alimentation chez les personnes âgées.
«À 80 ans, 33 % des gens ont un apport calorique
inférieur à la norme de 1500 calories par jour et
75 % manquent de calcium, a-t-il souligné. À leur
entrée à l'hôpital, de 50 % à 60 %
des personnes âgées sont sous-alimentées.»
Il y aurait même une relation entre la carence en protéines
et le taux de fractures résultant de chutes. Dans 80 %
des cas, les victimes de fractures de la hanche ou du col du fémur
manquent de vitamine D. Des études ont montré qu'un
apport protéique supérieur réduit la perte
de calcium, et par conséquent le risque de fracture, et
favorise le rétablissement.
Il y a donc une relation entre l'alimentation et l'hospitalisation,
comme il y a une relation entre la convivialité et la bonne
alimentation, a fait valoir le Dr Rapin. «La convivialité,
dit-il, augmente de 20 % à 25 % l'apport alimentaire.»
Par contre, même dans les établissements, on maintient
parfois la sous-alimentation. Photo à l'appui, il nous
a montré que ce qu'il appelle «la nourriture slash»
servie aux gens édentés est «incompatible
avec la dignité de la personne et le plaisir de manger».
La décence nous interdit de comparer cette «nourriture»
à quoi que ce soit...
Le Dr Rapin est en outre engagé dans un projet qui vise
à briser l'isolement des personnes âgées en
misant sur une coordination des ressources à leur disposition.
Sortir à son goût
Ce rapport entre l'isolement des personnes âgées
et leur mauvaise alimentation est également observé
chez nous. «Les liens sociaux ont un effet sur la santé
physique et mentale ainsi que sur le taux des hospitalisations»,
a elle aussi souligné Francine Trickey, coordonnatrice
à la Direction de la santé publique de Montréal-Centre.
Mme Trickey a exposé les objectifs et les résultats
du projet Sortir à son goût réalisé
auprès de la clientèle des «popotes roulantes»
des quartiers Ahuntsic et Notre-Dame-de-Grâce. Le projet
consistait à organiser à son intention des sorties
de groupe au restaurant.
«Quarante pour cent de la clientèle des popotes roulantes
est à risque de malnutrition parce que ces personnes mangent
seules, a-t-elle souligné. L'expérience visait à
accroître les occasions de socialisation, favoriser l'intégration
sociale et diminuer les risques de malnutrition.»
En mettant à contribution divers groupes populaires d'aide
aux personnes âgées, le programme comportait 22 sorties
en groupe d'une vingtaine de personnes, à raison de une
sortie toutes les deux semaines, dans des restaurants à
prix modiques.
Aux yeux des responsables, l'expérience a été
un succès puisque le programme a été maintenu
par la suite à la demande des participants. Lucie Richard,
du Groupe de recherche interdisciplinaire en santé (GRIS)
et professeure à la Faculté des sciences infirmières,
s'est livrée à l'analyse des résultats de
cette expérience.
«Nous voulions d'abord savoir si un tel programme était
réalisable, s'il y avait un intérêt chez la
clientèle visée et si les participants étaient
ceux qui en avaient besoin», précise la chercheuse.
Aux trois questions, elle répond par l'affirmative. La
prise en charge du projet par les groupes communautaires ainsi
que son maintien et son développement après la période
expérimentale montrent que ce type d'intervention est réalisable.
Le taux de participation, de 46 % chez les 179 personnes auxquelles
le programme s'adressait, indique qu'il répond à
un besoin.
Les données concernant le profil des participants indiquent
par ailleurs que la clientèle à risque peut être
jointe par un tel programme.
La recherche se poursuit afin d'évaluer si l'expérience
a eu un impact sur l'apport alimentaire et la santé des
participants.
Ce colloque a été rendu possible grâce au
financement du Fonds d'investissement des cycles supérieurs.
Yves Fillion prévoit y poursuivre son engagement en suscitant
un regroupement d'organismes communautaires ou la production d'un
bottin de ressources sur la question de la nutrition et des personnes
âgées.
Daniel Baril