Depuis la diffusion
de deux reportages sur les effets néfastes des émanations
de mercure des amalgames dentaires à l'émission
Découverte de Radio-Canada, plusieurs dentistes québécois
ont dû répondre à des questions de patients
inquiets. «Ces reportages étaient biaisés
parce qu'ils ne présentaient qu'un aspect de la réalité»,
dit tout de go le Dr Pierre Desautels, responsable de la dentisterie
de restauration à la Faculté de médecine
dentaire.
«Oui, il y a un risque à implanter un corps étranger
dans le corps humain. Mais il faut savoir calculer ce risque.
Pour en avoir le coeur net, j'ai organisé un symposium
qui a fait l'objet d'une publication en 1994. Résultat:
la quantité de mercure qui s'échappe des amalgames
dentaires est 25 fois inférieure au seuil de toxicité.»
Dans les reportages diffusés en octobre 1996, puis en février
dernier, on affirmait au contraire que le risque était
important pour les gens qui ont plusieurs amalgames dans la bouche.
La principale étude sur laquelle le journaliste Michel
Rochon s'appuyait était celle du Dr Richardson, déposée
au bureau des matériaux médicaux de Santé
Canada le 18 août 1995.
M. Richardson était interviewé dans le reportage
de même qu'un dentiste favorable aux obturations de composites.
Le hic, c'est qu'un comité d'évaluation de 18 experts
a contesté la méthodologie de cette étude.
On y a relevé plusieurs erreurs de fait et d'interprétation.
On a donc renvoyé l'auteur à ses travaux. La seconde
version du rapport n'a pas eu plus de succès, car elle
a été rejetée par un comité de 20
personnes, dont des représentants de consommateurs et des
dentistes.
Quatre pieds de documents
Pour Michel Rochon, dont les documents ayant servi à ces
reportages font quatre pieds de haut, aucun scientifique à
Santé Canada n'a voulu (ou n'a eu l'autorisation de) défendre
la cause des amalgames. Ainsi, devant la caméra, un administrateur
tentait maladroitement de cautionner les politiques de son ministère.
«À défaut de parler de science, il fallait
bien que quelqu'un explique la position officielle», explique
le journaliste à Forum.
Michel Rochon persiste. Parmi les études qu'il a consultées,
«des centaines» démontrent que les amalgames
au mercure présentent un risque. Et le Dr Desautels est
plutôt d'accord avec cette affirmation.
«L'année 1981 marque un tournant important dans notre
connaissance des amalgames, rappelle-t-il. Un professeur de l'Iowa
a démontré que des vapeurs de mercure se dégageaient
après que le mélange de zinc, argent, étain,
cuivre et mercure se fut solidifié. Jusqu'à ce moment-là,
on croyait que les vapeurs disparaissaient grosso modo après
la malaxée. Dès cette date, les études se
sont accumulées.»
Une étude du professeur Vimy, de l'Université de
Calgary, a semé l'inquiétude chez les dentistes
en 1985: les amalgames produiraient 30 microgrammes (µg)
de mercure par jour. «C'était dangereusement beaucoup»,
signale le Dr Desautels. Surtout quand on pense qu'un individu
normal est exposé quotidiennement à 25 µg
de mercure par l'eau qu'il boit, l'air qu'il respire et les aliments
qu'il consomme.
Mais cette étude comportait d'importantes erreurs. Comme
le veut la méthode scientifique, on a refait l'expérience
et démontré qu'une personne qui a une douzaine d'amalgames
dans la bouche est exposée à 1 à 2 µg
par jour tout au plus. Alstad (1987), Mackert (1987), Snapp (1989),
Berglund (1990), Skare (1990) et Langworth (1991) sont tous arrivés
à peu près au même résultat.
«On peut dire que oui, les amalgames contribuent à
la charge corporelle de mercure. Il y a 20 ans, je n'aurais pas
pu dire ça», signale le dentiste.
Tout est dans le taux
Une fois démontrée la volatilité du mercure
dans la bouche, il restait à calculer la proportion de
métal accumulée dans l'organisme. On a donc comparé
le taux de mercure des individus porteurs d'amalgames avec celui
des personnes qui n'en avaient pas. Ces dernières absorbent
de 0,3 à 0,7 µg de mercure en comparaison de 0,9
à 1,6 µg pour les premières. Bon. Mais est-ce
dangereux?
«Pour évaluer la toxicité, deux études
convergent: Roels (1982) et Buchet (1980). Ces chercheurs ont
étudié la fonction rénale, la motricité
fine et d'autres éléments affectés par le
mercure chez des individus qui y sont fortement exposés.
Résultat: les "intoxiqués" possèdent
de 50 à 100 µg de mercure dans leur urine. On a donc
établi le seuil de toxicité à 50 µg.»
Un toxicologue de l'Université de Montréal, Jules
Brodeur, a analysé ces données et conclu que, même
en arrondissant à 2 µg l'absorption quotidienne des
gens qui ont 12 amalgames dans leur bouche, le risque est faible.
Un rapport de 1/25.
Une contestation de longue date
Ce n'est pas la première fois que des gens contestent l'utilisation
des amalgames dentaires. Depuis 150 ans, des mouvements voient
le jour épisodiquement pour les remettre en question. Une
secte du début du siècle demandait même à
ses membres de jurer qu'ils n'y toucheraient jamais. Plus récemment,
un dentiste du Colorado, Hal Hoggins, affirmait que ces obturations
provoquaient le cancer. Il vient d'être accusé de
fausse représentation par une de ses clientes qui, ayant
suivi son traitement (le remplacement des amalgames par des composites),
n'a pas vu son cancer régresser...
Plus près de nous, dans son dépliant intitulé
Du poison dans votre bouche, l'Association de médecine
dentaire holistique du Québec attribue au mercure la fatigue
chronique, la constipation, les démangeaisons, les pensées
suicidaires, les difficultés à prendre des décisions
simples...
Bien que Pierre Desautels ait choisi son camp, il n'est pas un
fondamentaliste. Il installe régulièrement des produits
composites quand des facteurs esthétiques le justifient.
Mais les amalgames présentent des avantages considérables:
la longévité (au moins deux fois supérieure),
le coût encore très bas et la capacité de
scellement imbattable.
Vous aimeriez savoir quel type d'obturations il a dans la bouche?
Elles sont en or! Il a profité d'une aubaine quand il était
étudiant.
Quant à Michel Rochon, il a neuf amalgames au mercure qu'il
ne prévoit pas faire remplacer par des composites. Mais
en ce qui concerne la prochaine intervention, il n'est pas décidé...
Mathieu-Robert Sauvé