Quand les paralytiques
marcheront, disent les Écritures, nous serons près
du jugement dernier. Les travaux du Centre de recherche en sciences
neurologiques, dirigé par le Dr Serge Rossignol, pourraient
ainsi hâter la fin des temps.
«Nous ne faisons aucun miracle, mais les convergences des
travaux en anatomie, en physiologie et en biochimie donnent de
l'espoir aux paraplégiques», affirme le Dr Rossignol.
Jusqu'à tout récemment, les personnes souffrant
d'une lésion de la moelle épinière se voyaient
condamnées au fauteuil roulant sans espoir de guérison
puisque les neurones du système nerveux central ne se régénèrent
pas et que leurs axones ne se ressoudent pas.
Mais les avancées de la recherche dans ce domaine permettent
maintenant quelques lueurs d'espoir. Précisons d'abord
qu'il est erroné de penser que les nerfs sectionnés
ne repoussent pas. Les nerfs du système nerveux périphérique
repoussent et c'est ce qui permet aux personnes à qui l'on
a regreffé un membre de retrouver l'usage et la sensibilité
de ce membre. Ce ne sont que les faisceaux nerveux du système
central, dont ceux de la moelle épinière, qui éprouvent
des problèmes de repousse.
Et encore là, une régénération est
observée. Les axones sectionnés repoussent, mais
bloquent à l'endroit de la cicatrice laissée par
la lésion. «Le problème semble dû à
des facteurs comme la myéline, une enveloppe de lipides
et de protéines contenue dans la fibre nerveuse et qui
peut inhiber la croissance de l'axone», explique Serge Rossignol.
Certains animaux, dont les batraciens et les poissons, qui ont
une repousse spontanée des axones de la moelle épinière
n'ont pas de myéline.
La mécanique de cette régénération
est encore mal connue et l'on ignore s'il s'agit du développement
de terminaisons collatérales déjà présentes
dans la moelle épinière ou si la repousse s'effectue
à partir de neurones situés au-dessus de la moelle
cervicale.
Pontage sur la moelle
Pionnier, sur la scène mondiale, de la recherche dans le
domaine de la régénération neuronale, le
professeur Albert Aguayo, de l'Université McGill, a ouvert
une voie de recherche prometteuse. Sur des rats, il a réussi
à effectuer des pontages sur la moelle épinière
permettant à la repousse de contourner la cicatrice de
la lésion.
Les travaux du professeur Rossignol se poursuivent sur cette lancée.
«Nos recherches portent sur le rétablissement du
lien entre le centre de contrôle et le centre moteur de
la marche, ainsi que sur des traitements pharmacologiques et des
programmes de réadaptation», précise-t-il.
L'une des contributions de ces recherches a été
de démontrer que le centre moteur de la marche, du moins
chez le chat, est localisé dans la moelle épinière
et non dans le cerveau. À l'aide d'un vidéo, il
nous montre que les pattes arrière d'un chat, chez qui
la moelle a été complètement sectionnée
au niveau de la première vertèbre, retrouvent leur
fonction motrice lorsqu'elles sont placées sur un tapis
roulant.
«Le chat pourrait dormir, ce qui n'empêcherait pas
ses pattes arrière de marcher si elles sont stimulées
par le tapis. Ceci démontre que la marche découle
d'un patron inné dont le circuit neuronal est situé
dans la moelle», conclut le chercheur.
Le centre de contrôle demeure par contre dans le cerveau
et un chat ainsi handicapé ne peut contrôler volontairement
sa marche tant que la connexion cerveau-moelle n'a pas été
rétablie. Des recherches en cours démontrent également
que certains médicaments comme la clonidine, qui agit sur
des récepteurs de la noradrénaline (un précurseur
de l'adrénaline), ont une action spécifique sur
les circuits de la moel-le épinière commandant la
marche.
«Si la moelle épinière est si sophistiquée,
reprend le Dr Rossignol, nous voulons savoir si une continuité
minimale entre le cerveau et la moelle, donnant une impulsion
"on/off", pourrait être suffisante pour rétablir
le contact et donner la commande de la marche.»
Ses travaux permettent de penser que oui puisque, lorsqu'une partie
seulement de la moelle est sectionnée, la fonction se rétablit
un à deux mois après une régénération
naturelle. «Nous avons montré que peu de fibres sont
nécessaires pour rétablir le contrôle de la
marche.»
Par contre, l'être humain présente une physiologie
quelque peu différente. On y observe certains aspects de
l'automatisme de la marche, mais ils sont moins autonomes que
chez le chat et plus sous contrôle cérébral.
«Il est cependant probable que les concepts de base élaborés
à l'endroit des animaux pourront servir à améliorer
le traitement de la paralysie chez l'être humain, soutient
le Dr Rossignol. Des greffes spinales qui rétabliraient
la connexion d'un certain nombre de fibres nerveuses seraient
probablement bénéfiques aux paraplégiques.»
Les applications de ces recherches ne se limitent pas à
la moelle épinière mais permettent également
de croire, à long terme, que la restauration de nerfs optiques
ou de nerfs auditifs est envisageable. Non seulement les paralytiques
marcheront, mais les aveugles verront et les sourds entendront...
«Peut-être», ajoute le chercheur!
Daniel Baril
Le Centre de recherche
en sciences neurologiques tient une journée portes ouvertes
le dimanche 16 mars, de 10 h à 16 h 30, au tout nouveau
Pavillon Paul-G.-Desmarais. L'événement vise à
faire connaître la contribution des membres du Centre à
l'essor actuel des neurosciences et à souligner la Semaine
des neurosciences (semaine du 17 février) organisée
par la Société américaine des neurosciences.
La visite des laboratoires permettra d'avoir un aperçu
du fonctionnement de ce qui pourrait être la structure la
plus complexe de l'univers, le cerveau. Des démonstrations,
réalisées par des chercheurs, des étudiants
et des techniciens, expliqueront le fonctionnement des cellules
du cerveau (vous les verrez et les entendrez, promet-on), les
mouvements comme la marche, la perception de sensations comme
la douleur, la mémoire et l'oubli, pourquoi certaines personnes
sont paralysées, tremblent ou souffrent de convulsions,
comment certaines substances chimiques agissent sur le cerveau.
Il y aura également un coin pour les enfants.
Des expériences sur le système nerveux seront simulées
à l'aide d'ordinateurs et l'on pourra visiter des sites
Internet portant sur le cerveau et les neurosciences. Des documents
vidéo sur des personnages ou des problèmes importants
en neurosciences seront présentés toute la journée.
Une miniconférence sur les recherches actuelles sur la
moelle épinière sera présentée à
14 h 30.
Pour plus d'information, on peut communiquer avec le Centre de
recherche en sciences neurologiques au 343-6366.
D.B.