À la surprise
d'une bonne partie du milieu de l'édition, le prix Gilles-Corbeil,
l'un des prix littéraires les plus prestigieux du Québec
- et de loin le plus «payant», avec une bourse de
100 000 $ - , a été attribué à Jacques
Brault pour l'ensemble de son oeuvre. «Ça m'a fait
plaisir, mais ça m'a étonné», dit-il
de sa résidence de Saint-Armand, au cours d'un entretien
téléphonique.
Conscient de ne pas être un écrivain «populaire»,
comme il dit, ce poète, romancier, essayiste et même
peintre à ses heures a eu un parcours louvoyant et paradoxal.
En effet, c'est à titre de professeur en études
médiévales qu'il entreprend l'une de ses principales
contributions à la littérature... québécoise.
Il rédige alors des analyses critiques de l'oeuvre du poète
Hector de Saint-Denys Garneau et de celle d'Alain Grandbois, tout
en participant à diverses émissions de radio et
de télévision à Radio-Canada. Il passe ensuite
au Département d'études françaises en 1980,
où on lui confie des cours de littérature... médiévale.
Comme auteur, il n'a jamais cessé d'écrire. Ses
livres sont bien reçus par la critique, mais touchent un
auditoire restreint. On ne pouvait pas dire cela des deux précédents
lauréats du prix Gilles-Corbeil, Réjean Ducharme
en 1990 et Anne Hébert en 1993.
Dans un texte ironique, sinon cynique, la chroniqueuse de La Presse
Nathalie Petrowski s'étonnait du choix du jury (composé
de Gilles Marcotte, Pierre Ouellet, Élisabeth Nardou-Lafarge,
Stéphane Lépine et Sheila Foshman) en disant qu'il
couronnait un homme qui évite les débats publics
comme les mondanités, préférant occuper le
temps que l'espace. «Si Jacques Brault est un monument,
il est avant tout un monument de modestie», écrit-elle.
Des propos qui «indiffèrent» le principal intéressé.
«Je suis conscient de ne pas être très lu,
admet-il d'un ton un peu gêné. Tout ce que je demande
à mon éditeur, c'est de ne pas trop perdre d'argent
avec moi. Un de mes livres, Agonie, a tout de même connu
une réimpression.»
N'essayez pas de trouver ce livre au Service des bibliothèques
de l'Université. Le seul exemplaire destiné à
l'ensemble de la communauté est actuellement qualifié
de «manquant» par le système informatique.
Même chez Renaud-Bray, où l'on ne gardait que quelques
exemplaires d'Agonie, on espère être réapprovisionné
sous peu. Restent les recueils de textes Ô saisons, ô
châteaux et La poussière du chemin dans la collection
Papiers collés (Boréal), et quelques ouvrages de
poésie.
Une retraite discrète
Alors que l'on a souligné de diverses façons le
départ de Gilles Marcotte du Département d'études
françaises (on a même publié des Missélanées
en l'honneur de cet homme qui trouvait qu'il se publie trop de
livres au Québec!), le départ de M. Brault s'est
fait discrètement, en juin dernier. «Je suis passé
par la petite porte», dit-il.
Depuis, il a été fort occupé. Il a notamment
été nommé «écrivain en résidence»
à l'Université du Québec à Montréal
durant l'automne. Conférences, rencontres avec des étudiants,
lectures se sont succédé sans interruption.
Au moins deux autres livres (un récit et un recueil de
poèmes) sont en préparation, mais l'auteur se dit
incapable de donner une date approximative pour leur parution.
«Miron le Magnifique»
M. Brault a été affecté par la mort du poète
Gaston Miron, dont il était un compagnon de longue date,
même s'il savait qu'un cancer le menaçait. «Nous
avons fait des choses ensemble, j'ai écrit sur lui. Sa
mort m'a beaucoup touché.»
C'est lui qui a donné au poète du carré Saint-Louis
l'épithète «Miron le Magnifique», qui
lui est resté toute sa vie. C'était le titre d'un
essai paru aux Presses de l'Université de Montréal
en 1966.
À savoir si l'auteur de L'homme rapaillé était
«paresseux», comme l'a affirmé le journaliste
français Bernard Pivot dans une émission récente
de Bouillon de culture, Jacques Brault répond que le poète
ne cessait jamais de peaufiner ses textes, de les récrire
afin de les améliorer.
«C'est vrai, il a peu écrit, plaide-t-il. Et puis?
Beaudelaire aussi a été l'homme d'un seul livre.»
M.-R.S.