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Une percée dans la reconnaissance
de l'écriture

Réjean Plamondon a trouvé une nouvelle formule
pour numériser les commandes neuromusculaires.


Les visiteurs du Musée de la civilisation du Québec qui s'attardent dans la salle des inventions québécoises récentes peuvent tester leur habileté à imiter les signatures de Jean-Pierre Ferland, Jean Ferrat ou Katleen. Un ordinateur dépistera à coup sûr ces faussaires!

Il s'agit là de l'une des applications de la théorie cinématique élaborée par Réjean Plamondon, directeur du Département de génie électrique et de génie informatique de l'École Polytechnique et directeur du laboratoire Scribens à la même école.

Depuis une quinzaine d'années, le chercheur travaille sur des modèles mathématiques qui permettraient de décrire des gestes apparemment complexes, notamment les mouvements donnant lieu à l'écriture manuscrite. Il existait déjà des modèles pour décrire de tels gestes mais, selon le professeur, ils sont complexes et rendent plus ou moins bien la réalité.

Mesurer la vitesse

«Nous sommes partis de l'hypothèse selon laquelle les mouvements complexes sont faits d'une superposition de mouvements simples, explique-t-il. En physiologie et en neurologie, il était connu que les mouvements du corps mettent en cause deux mécaniques neuromusculaires opposées, l'une agoniste et l'autre antagoniste. Ces systèmes étaient considérés comme des générateurs de force; nous les avons considérés comme des contrôleurs de vitesse.»

Comme les deux chaînes de commandes neuromusculaires mettent en action un très grand nombre de réseaux pouvant engendrer une infinité de mouvements, l'auteur de la théorie recourt à la loi des grands nombres ou «théorème de la limite centrale» pour fonder sa formule et prédire le comportement gestuel.

L'algorithme auquel il parvient - et qu'il nomme «fonction delta-lognormale» - détermine certains paramètres de l'écriture comme la vitesse et l'accélération à partir de signaux stables sur le tracé. «Notre modèle décrit mieux que tout autre, et de façon quasi optimale, le profil de vitesse d'un geste simple comme un trait de crayon, affirme Réjean Plamondon. Cette description n'est pas loin d'être universelle et s'applique aussi bien aux mouvements de la main et du bras qu'à ceux de la tête ou des yeux.»

La formule, considérée par Québec Science comme l'une des 10 découvertes de l'année 1996, peut également s'appliquer à des gestes complexes, comme une écriture ou une signature, puisqu'il suffit de décomposer ces complexités en une série de gestes simples.

Elle s'accorde même avec les gestes de précision qui présentent une mécanique différente selon que la précision est spatiale ou temporelle: pour atteindre une cible, par exemple, le geste est d'autant plus lent que la cible est petite; par contre, pour battre une cadence, la précision est d'autant plus grande que le rythme est rapide. Le modèle se comporte de la même façon.

Applications

Ces travaux théoriques peuvent trouver de nombreuses applications dans divers domaines. La reconnaissance des signatures, mentionnée au début de l'article, en est l'application actuellement la plus développée. Dans ce cas, un ordinateur enregistre trois spécimens de votre signature qui serviront à désigner les signaux de base à partir de la forme générale de la signature, de la durée d'ensemble, de la vitesse de chaque portion du tracé et de son image correspondante.

Le défi technique est de tenir compte des variations intrinsèques de la signature, dues au type de crayon ou à l'agilité des doitgs, tout étant discriminant à l'égard des autres variations qui pourraient résulter d'une imitation.

De tels systèmes de reconnaissance des signatures pourront être fort utiles dans le domaine de la sécurité informatique. «Ils permettront de contrôler l'accès physique à des immeubles ou l'accès logique à des ordinateurs ou des banques de données», souligne M. Plamondon.

Dans le domaine de l'intelligence artificielle, la théorie ouvre de nouvelles pistes pour perfectionner les blocs-notes électroniques. Ces outils, précurseurs de la prochaine génération d'ordinateurs sans clavier, permettent d'écrire directement sur un écran à cristaux liquides à l'aide d'une encre électronique; l'ordinateur analyse l'écriture manuscrite et l'affiche en caractères d'imprimerie.

«On pourra ainsi recréer l'interaction crayon-papier tout en bénéficiant de commandes gestuelles permettant d'encercler, de déplacer ou d'effacer du texte comme on le fait avec une souris.»

L'équipe du laboratoire Scribens travaille à la mise au point de tels éditeurs à commandes gestuelles qui permettront la saisie, le transfert et la correction de textes incluant même le braille et les rapports financiers.

Les voies sont également prometteuses en neurophysiologie, où l'on entrevoit la production de prothèses intégrant des microstimulateurs permettant une meilleure locomotion ou un meilleur contrôle des mouvements. D'autres applications sont possibles en orthopédagogie puisque l'analyse des paramètres de l'écriture permet de cerner et d'évaluer les difficultés que peut éprouver un enfant dans le contrôle de l'écriture.

Si les perspectives ouvertes par la théorie cinématique de Réjean Plamondon peuvent révolutionner ces diverses disciplines, il insiste toutefois pour préciser que sa théorie ne rend pas les autres approches dépassées. «Elle ouvre une nouvelle fenêtre qui complète la vision des choses sans nécessairement démolir les autres méthodes», déclare-t-il.

Daniel Baril


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