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Napoléon a appauvri la forêt laurentienne!

André Bouchard et Hélène Simard reconstituent la forêt précoloniale.

Autrefois, on trouvait autour de Montréal de grands chênes, des pins blancs, des hêtres, des pruches et des merisiers dans de vastes érablières indigènes. Des arbres qui sont pratiquement disparus de la région. L'activité humaine est directement responsable de cette modification observée partout dans le Haut-Saint-Laurent.

«On sait que les meilleures essences ont été coupées les premières, jusqu'à épuisement», explique André Bouchard, professeur à l'Institut de recherche en biologie végétale (IRBV). Avec son étudiante Hélène Simard, qui en a fait son sujet de maîtrise, il vient de publier un article sur cette question dans le Canadian Journal on Forestry Research. «La grande leçon que nous tirons de cette étude, confie-t-il, c'est qu'il y avait autrefois, dans le sud du Québec, une forêt très riche, sur les plans commercial et écologique. C'est aujourd'hui une forêt appauvrie.»

Le défrichage de grands territoires à des fins agricoles a bien sûr contribué à cet appauvrissement, mais les ventes de bois pour le chauffage et la construction y ont joué un rôle déterminant. On trouve au Québec des données précises sur ce sujet, car les transactions étaient souvent faites devant notaire. Et comme le droit notarial défend aux professionnels de détruire leurs archives, une mine d'information sommeillait aux Archives nationales du Québec jusqu'à ce que Mme Simard les parcourt.

Elle a consacré un an et demi à ce travail de moine.

«J'ai trouvé de tout. Même des preuves de la vente d'esclaves, relate-t-elle. Probablement à cause de leur analphabétisme, nos ancêtres avaient très souvent recours au notaire. Cela nous a permis de savoir quelles essences de bois étaient exploitées dans la région.»

La botanique mène à tout

Au début du 19e siècle, Napoléon impose un blocus sur les ventes de bois dans le nord de l'Europe, où s'approvisionnait l'Angleterre. Comme les États-Unis sont indépendants depuis 1783, l'Empire se tourne du côté de ses colonies, car la construction navale et residentielle bat son plein. «Entre 1806 et 1810, on sait que des bateaux repartaient d'ici avec des madriers de chêne et de pin blanc», explique la chercheuse de l'IRBV.

C'est tout de même le bois de chauffage qui a été le plus exploité. «C'étaient les puits de pétrole de cette période», rappelle M. Bouchard. L'érable à sucre, le merisier et le hêtre étaient particulièrement appréciés. Mais selon les registres consultés, leur abondance diminue progressivement avec le temps. «Les essences les plus dispendieuses ont donc été exploitées les premières et, au fur et à mesure qu'elles ont été épuisées, elles ont été remplacées par d'autres, de moindre valeur», conclut l'étude.

Recherches biographiques ou botaniques?

C'est par un hasard typique de l'histoire des sciences que le botaniste a découvert cette source inusitée d'information que constituent les archives notariales. M. Bouchard suivait les traces d'un de ses ancêtres du village de Saint-Anisset, Luc Hyacinthe Masson, déporté aux Bermudes pour avoir participé à la rébellion des Patriotes, en 1837. «Je cherchais à savoir à quel moment il était arrivé là, quelles propriétés il avait acquises, etc. En fouillant, j'ai compris que nos ancêtres utilisaient le notaire pour toutes sortes de transactions.»

Comme une bonne nouvelle ne vient jamais seule, ces archives cessent d'être confidentielles après un siècle. Or, on sait que l'essentiel du défrichage a eu lieu entre 1800 et 1880, période où tous les livres sont ouverts. Ne restait plus qu'à parcourir les actes de la centaine de notaires qui ont pratiqué dans la région du Haut-Saint-Laurent à cette époque. Hélène Simard a relevé 448 transactions de bois sur quelque 500 000 actes.

Le plus drôle, là-dedans, signalent les chercheurs, c'est que l'on ne peut pas faire de telles recherches ailleurs dans le monde puisque nulle part ces conditions ne sont réunies: défrichage sur une période bien délimitée, utilisation massive des actes notariés, archivage...

Cela dit, l'étude compte tout de même des biais dont les auteurs ne sont pas dupes. Les transactions des anglophones, par exemple, ne donnaient presque jamais lieu à des actes notariés, de même que l'utilisation du bois à des fins domestiques: on a émondé d'innombrables thuyas, par exemple, pour façonner des piquets de clôture. Mais l'évolution des ventes de nos forêts en cordes, madriers, bardeaux, bois équarri, planches, etc., n'en donne pas moins une idée des essences disponibles à l'époque.

Une seule forêt, actuellement, permet de se faire une idée de la végétation dominante à l'époque de la colonisation. Elle appartient à la famille Muir, à l'est de Huntington, dont les ancêtres ont eu l'idée révolutionnaire et fantaisiste d'en interdire l'accès aux bûcherons. Un étudiant de M. Bouchard en a fait la découverte il y a quelques années.

Même les espaces en apparence inviolés de la région de Montréal, par exemple le mont Royal, ont subi d'importants outrages. L'idée d'en faire un parc municipal, au milieu du 19e siècle, a d'ailleurs jailli à la suite de la décision d'un propriétaire de procéder à une coupe à blanc qui était visible depuis le centre-ville comme une large plaie sur son flanc.

Mathieu-Robert Sauvé


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