La «lettre des présidents» a choqué
les membres.
Fait sans précédent
à l'Université de Montréal, l'Assemblée
universitaire (AU) a adressé un vote de blâme à
l'endroit du chancelier André Bisson pour la lettre qu'il
cosignait, le 8 novembre dernier, avec six autres présidents
de conseils d'administration d'universités.
La lettre en question (voir l'encadré en page 2) était
adressée au premier ministre Lucien Bouchard et visait
d'une part à l'«alerter sur les effets à long
terme pour la société québécoise des
réductions qui sont demandées aux universités».
Là où ça se gâte, c'est lorsque les
signataires y vont de leurs suggestions pour réduire les
frais de fonctionnement des universités et augmenter les
revenus.
Ils proposent entre autres de mettre fin à la sécurité
d'emploi, d'instaurer la retraite obligatoire, de hausser les
droits de scolarité et les frais d'inscription.
Non seulement ces «suggestions» vont-elles à
l'encontre de positions maintes fois adoptées par diverses
instances à l'Université de Montréal, mais
les présidents ont agi à l'insu de leur propre conseil.
La lettre n'était pas destinée à être
rendue publique, mais les journaux en ont fait état il
y a deux semaines.
Selon ce qu'affirmait à l'Assemblée universitaire
le président du SGPUM, André Tremblay, l'impact
de cette lettre a été suffisamment foudroyant pour
retarder la signature de la convention collective jusqu'à
ce que le syndicat des professeurs ait obtenu du recteur un engagement
ferme à l'égard de la protection de la sécurité
d'emploi.
Dans sa réponse à son vis-à-vis syndical,
le recteur a souligné que les présidents ont agi
sans mandat, à l'insu des instances universitaires concernées
et qu'il s'engageait à ce que la sécurité
d'emploi soit respectée tant pour les professeurs que pour
les autres employés. André Tremblay a tenu à
louer le comportement et la diligence du recteur dans ce dossier
tout en déclarant que les présidents minent la crédibilité
de leur conseil.
«Est-il admissible que le chancelier, dont le seul mandat
est de présider le Conseil, communique directement avec
le premier ministre sans tenir compte du Conseil, de l'Assemblée
universitaire et du rectorat?» a-t-il souligné en
demandant la démission de M. Bisson.
Michel Ducharme, opérateur aux Services informatiques,
a abondé dans le même sens en soulignant que le contenu
de la lettre allait à l'encontre de la «déclaration
commune du 20 novembre» - notamment sur la question des
droits de scolarité - adoptée par l'ensemble de
la communauté universitaire et par l'AU. «Qui dirige
à l'Université? a-t-il demandé. Le chancelier
est déconnecté de l'université qu'il représente
et ce geste est inacceptable.»
Le recteur s'est porté à la défense du président
du Conseil en faisant valoir que le chancelier donne de son temps
à l'Université, qu'un blâme serait disproportionné
et qu'il a agi à titre personnel.
Ce dernier point a paru difficilement défendable aux yeux
de plusieurs, notamment à Denise Angers qui a souligné
que le fait de faire suivre la signature de la fonction de président
engage la représentation de l'Université.
Tous les membres de l'AU qui siègent au Conseil ont tour
à tour exprimé leur étonnement, leur déception,
leur surprise, leur désolation ou leur colère devant
cette initiative qu'ils n'arrivaient pas à s'expliquer.
Tous ont par ailleurs annoncé qu'ils s'abstiendraient au
moment du vote parce qu'ils n'avaient pas encore «lavé
leur linge sale en famille».
Parmi ceux-ci, Thérèse Cabana, du Département
de sciences biologiques, a montré comment le mal était
grand en déclarant qu'un collègue l'avait soupçonnée
d'être de connivence avec les positions avancées
par le chancelier alors qu'elle ignorait l'existence de la lettre.
Pierre Côté, également du Conseil, a insisté
pour dire qu'il n'y avait jamais eu l'ombre d'une conspiration
durant les négociations de la convention collective.
La proposition d'exiger la démission du chancelier a finalement
été modifiée en vote de blâme à
son endroit, bien que le recteur ait souligné le risque
qu'un tel geste puisse entraîner la démission de
M. Bisson.
Géologie
Il a également été abondamment question de
la fermeture du Département de géologie au cours
de cette séance. S'inquiétant du risque que la procédure
prévue en pareil cas ne soit pas respectée, André
Tremblay a demandé un moratoire sur cette fermeture.
L'annonce de l'intention de la FAS sous le titre-choc de Forum
semble en avoir ébranlé plusieurs. La doyenne, Mireille
Mathieu, a précisé que sa démarche auprès
du journal visait à faire le point sur les mesures de redressement
de sa faculté un an après l'adoption de son plan
d'orientation. «Le traitement aura tout de même eu
le mérite de mettre les choses au clair», a-t-elle
affirmé.
Dans un autre domaine, le doyen de la FEP, Jacques Boucher, aurait
pour sa part souhaité que quelqu'un donne la réplique
à l'auteur de L'université à réinventer,
Hugues Boisvert (HEC), qui soutient que les tâches d'enseignement
et de recherche ne comptent que pour 28 % du financement des universités.
«Ce serait donner trop d'importance à ces âneries»,
a répondu en substance René Simard.
Daniel Baril
«Monsieur le Premier ministre,
«C'est à titre de présidents des conseils
d'administration des universités du Québec que nous
nous adressons à vous.»
Ce sont les premiers mots de la «lettre des présidents»,
dont voici les principales suggestions.
«Le code du travail devrait permettre de mettre fin à
la sécurité d'emploi de professeurs et de personnel
de soutien dans des domaines dont une université se retire,
cela après avis et dans un délai raisonnable et
avec indemnisation des personnes. [...]
«Il est crucial de faire amender la formule de financement
pour y insérer des incitatifs au partage de programmes
et de champs d'études. [...]
«En l'absence de retraite obligatoire, nombre de professeurs
ne s'y préparent pas. Nous croyons qu'il faut reconsidérer
cette question générale de l'âge de la retraite
obligatoire, quitte à ce que les universités puissent
continuer à faire appel à certains professeurs au-delà
de cet âge pour certaines activités. [...]
«Les universités devraient pouvoir offrir des programmes
de retraite anticipée sans menacer la qualité des
programmes. [...]
«Il serait judicieux de revoir le poids des étudiants
des cycles supérieurs dans la formule de financement. [...]
«On observe une dégradation rapide [du parc immobilier].
Un plan spécial de réfection des infrastructures
universitaires permettrait de parer au plus pressant. [...]
«[Sur l'augmentation des revenus], il est urgent que, soit
le gouvernement décrète une hausse progressive des
frais de scolarité, soit que l'on autorise les universités
à hausser leurs frais de scolarité. [...]
«Les universités devraient être autorisées
à augmenter les frais d'inscription sur la base de l'offre
et de la demande. [...] Il pourrait y avoir place pour certaines
formes de "privatisation" dans les modulations de frais
de scolarité.»
Ont signé les présidents des conseils de l'U de
M, de Laval, de Concordia, de Bishop, de McGill, de Sherbrooke
et du comité de vérification de l'Université
du Québec.