Horowitz, ça
vous dit quelque chose? Oui, bravo! Et Glenn Gould? Évidemment!
Et si l'on parlait un peu de... Louis-Moreau Gottschalk? Euh...
Ah, vous voilà pris au dépourvu. Et pourtant, Gottschalk
était un compositeur et un pianiste fabuleux qui a marqué
le 19e siècle comme Horowitz et Gould l'ont fait pour le
20e.
«Il n'y a que Gottschalk qui puisse remplacer Chopin»,
disait Camille Pleyel le 30 octobre 1849, au lendemain de la mort
du compositeur des nocturnes. C'est ce que rappelle Réginald
Hamel, professeur à la retraite du Département d'études
françaises, qui vient de faire paraître la première
biographie en français de ce musicien aux Éditions
Guérin.
Cette «brique» de plus de 600 pages est un des deux
ouvrages publiés au cours des derniers mois par M. Hamel,
l'autre étant les notes du professeur Guy Frégault.
Né en 1829 à la Nouvelle-Orléans, Gottschalk
commence sa carrière de concertiste alors qu'il n'a pas
encore de poils sous le nez. Sa famille, flairant la bonne affaire
dans son talent, décide «de faire produire le petit»,
comme le dit le professeur Hamel. Année après année,
Gottschalk multiplie les tournées en Europe, dans les Caraïbes
et en Amérique du Nord. Quand il en a le temps, il compose
une pièce. Pressé par la famille, il lui envoie
une bonne partie de ses cachets. Ayant une vie sexuelle ambiguë,
il mourra finalement de syphilis en 1869, en Amérique du
Sud.
Au milieu de ces incessantes tribulations, l'homme a fait deux
tournées au Canada, au début des années 1860.
Tournées qui ne furent pas couronnées de succès,
Gottschalk étant accueilli tièdement. Son sentiment
est réciproque à l'égard du peuple du futur
dominion.
Le 16 juin 1863, à la bataille de Harrisburg de la guerre
de Sécession, Gottschalk constate, horrifié, que
l'armée nordiste se sert de pianos Chickering pour former
des barricades contre les assauts des opposants sudistes!
Réginald Hamel
a adopté une approche chronologique quasi maniaque dans
la rédaction de ce livre. Il a dépouillé
des liasses d'archives et de journaux. Armé de son appareil
photo, il a refait les déplacements de Gottschalk, prenant
des clichés dont plusieurs sont publiés dans le
livre, visitant les lieux de concert, jouant même sur les
pianos.
La charpente de la biographie consiste en un tableau exhaustif
des déplacements de Gottschalk, incluant les dates, endroits
et salles où il a joué, ainsi que des remarques
générales. Ce tableau se trouve en appendice de
l'ouvrage.
Au-delà de cette approche chronologique très fouillée,
M. Hamel fait une description détaillée des milieux
fréquentés par Gottschalk et est généreux
en détails historiques, question d'aider le lecteur à
bien se situer dans le contexte de l'époque. Le titre de
l'ouvrage, Gottschalk et son temps, est tout à fait
justifié.
La rencontre de M. Hamel et de Gottschalk mérite un mot.
Dans l'introduction, le professeur explique que, durant les années
1970, alors qu'il enseignait à Londres, il passait ses
nuits au British Museum, où il dépouillait les archives
de lord Gosford. Une nuit, fatigué, il se trompa de cote
et se retrouva avec des partitions du musicien sur sa table de
travail.
«Comme j'ai l'oreille absolu, j'entends de la musique lorsque
je la lis. Ça m'a tout de suite rappelé ma jeunesse,
quand ma mère jouait des pièces de Gottschalk»,
évoque-t-il.
La rédaction de cette biographie se place parfaitement
dans le sillon des recherches menées par Réginald
Hamel au cours de sa carrière, notamment sur Alexandre
Dumas et le 19e siècle.
Les notes de Frégault
Historien aussi connu
et respecté de ses pairs que Maurice Séguin et Michel
Brunet, Guy Frégault fut un des premiers laïcs à
enseigner l'histoire et la littérature à l'Université
de Montréal dans les années 1950. Par la suite,
il poursuivit sa carrière à l'Université
d'Ottawa et au ministère des Affaires culturelles du Québec.
Sous le titre Histoire de la littérature canadienne-française,
seconde moitié du 19e siècle, Guérin
vient de publier les notes de cours de Louis Frégault qui,
à l'époque, avait analysé l'oeuvre d'une
trentaine d'écrivains.
Réginald Hamel a apporté une contribution importante
à l'ouvrage, car c'est à lui qu'a été
confiée la tâche de combler les nombreuses lacunes
des notes manuscrites de celui qui fut un de ses maîtres.
Grand conservateur de documents devant l'Éternel, Réginald
Hamel a ressorti ses propres notes prises durant les cours de
Frégault, il y a 40 ans, et les a complétées.
Réginald Hamel conserve de Guy Frégault le souvenir
d'«un homme d'une très grande intelligence. C'est
comme un hommage que je lui rends», ajoute-t-il.
André Duchesne
Réginald Hamel, Gottschalk et son temps, Éditions
Guérin, 1996, 645 pages.
Réginald Hamel, Histoire de la littérature canadienne-française,
seconde moitié
du 19e siècle, Guy Frégault, Éditions
Guérin, 1996, 626 pages.