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L'université fantôme

Le professeur Hugues Boisvert propose de financer les universités
en fonction des activités d'enseignement et de recherche.


C'est une image radicalement différente de l'image habituelle du financement universitaire que nous propose Hugues Boisvert, professeur en comptabilité de management à l'École des Hautes Études Commerciales, dans son récent volume L'université à réinventer.

Le professeur a appliqué au financement universitaire la méthode de comptabilité par activités consistant, en gros, à redistribuer le budget d'une entreprise selon l'importance relative de chaque activité accomplie par toutes les catégories d'employés.

Cet ouvrage de 90 pages, que l'auteur qualifie d'essai, nous apprend que la part du financement public (totalisant 2,407 milliards de dollars en 1995) réellement consacrée à l'enseignement et à la recherche est de 28 % et que celle absorbée par les activités de soutien est de 72 %. Cette dernière portion constitue ce que M. Boisvert appelle l'«université fantôme». Or, les documents du ministère de l'Éducation (MEQ) indiquent des proportions exactement inverses: 51 % iraient à l'enseignement, 21 % à la recherche et 28 % aux diverses formes de soutien.

Enseignement: 5 %

La conclusion spectaculaire de l'auteur avait tout pour attirer l'intérêt des médias, mais pratiquement personne n'a exposé la méthode. Un des principaux éléments expliquant l'écart énorme est le fait que le MEQ inclut dans «enseignement et recherche» une foule d'activités qui n'en sont pas.

Hugues Boisvert nous apprend que, dans le 1,227 milliard soi-disant consacré à l'enseignement, figure une partie des sommes allouées à des activités comme le soutien technique, le soutien de bureau et les métiers ouvriers. On y trouve même un article «autres dépenses», totalisant 111,7 millions et incluant une partie des dépenses d'électricité, de frais de déplacement, de publicité et de mobilier.

Dans ce 1,227 milliard, la somme proprement consacrée aux salaires des professeurs est de 692,5 millions de dollars (excluant les 150 millions versés en avantages sociaux). Partant de l'hypothèse que les professeurs consacrent en moyenne une journée sur cinq à l'enseignement (une autre à la gestion et trois au développement pédagogique et à la recherche), Hugues Boisvert calcule donc 20 % de 692,5 millions pour obtenir une somme de 141,4 millions de dollars réellement consacrés à la seule tâche d'enseignement. (L'auteur inclut par contre les avantages sociaux dans cette somme.)

Ces 141 millions ne constituent que 5,8 % du financement global de 2,407 milliards de dollars. En effectuant le même type de calcul pour les autres fonctions, il obtient 521 millions (soit 21,6 %) pour la recherche et 244 millions (10 %) pour la gestion. Il reste donc une étonnante somme de 818 millions, soit 34 % du financement global, consacrée à des tâches de soutien accomplies par d'autres personnes que les professeurs et que le MEQ inclut dans «enseignement et recherche».

«Il s'agit d'un calcul approximatif, écrit l'auteur. Cependant, je crois qu'il vaut mieux être approximativement correct que précisément dans l'erreur du point de vue de la gestion.»

Le volume laisse penser que la façon ministérielle de ventiler le financement donne non seulement une image totalement fausse de la réalité mais détourne des sommes qui devraient être consacrées aux seules tâches d'enseignement et de recherche. En entrevue, Hugues Boisvert nuance toutefois son propos et reconnaît qu'il est impossible que les professeurs ne fassent pas une part de gestion et que l'enseignement ne peut pas être totalement coupé de son soutien.

«Mais ce que je remets en cause, précise-t-il, c'est l'importance des sommes accordées aux autres fonctions alors que le financement de l'enseignement et de la recherche devrait plutôt correspondre à 60 % ou 65 % du financement global.»

Nouveau mode de financement

L'autre élément important de l'essai de M. Boisvert, bien que peu développé, porte sur un nouveau mode de financement des universités. Au lieu de fonder le financement sur le nombre d'étudiants, il propose comme base le salaire des professeurs qui enseignent et font de la recherche.

Mais ceci s'avère n'être qu'un détour qui nous ramène au critère actuel puisque le nombre de professeurs «subventionnables» serait établi en fonction du nombre moyen d'étudiants à temps plein des trois dernières années. À ces deux règles s'ajouterait un programme de subvention d'infrastructures relatif aux équipements spécialisés.

Le comptable avance une simulation sommaire fondée sur une subvention de base équivalant à deux fois le salaire des professeurs «subventionnables». «Ce n'est qu'une simple supposition», tient-il à préciser. Cette forme de financement assurerait donc le paiement total des activités primordiales des universités, soit l'enseignement et la recherche, tout en assurant un montant minimal - au prorata du salaire des profs - consacré aux activités de soutien.

Les universités qui voudraient s'offrir plus que ce minimum essentiel devraient miser sur les droits de scolarité, qui pourraient varier de zéro jusqu'au montant jugé nécessaire. Les droits de scolarité libéralisés constitueraient donc un ticket modérateur pour les universités, les amenant à alléger ou à abandonner des activités que le professeur juge non primordiales: gestion des règlements, organisation des horaires d'examens, gestion des succursales et des déplacements, mise en marché des programmes et des cours, amélioration du logement, services aux étudiants et à la collectivité, entreprises auxiliaires.

Ceci ne risquerait-il pas de créer des universités de riches et des universités de pauvres? «Jusqu'à un certain point oui, répond Hugues Boisvert. Mais c'est un choix à faire. Si j'ai de l'argent, je pourrai me payer le luxe d'une université qui offre un complexe sportif ou même le logement gratuit. Si je n'en ai pas, je pourrai choisir d'aller étudier gratuitement là où il n'y a pas de droits de scolarité. L'important est de maintenir l'accès aux études supérieures.»

Selon la simulation fondée sur le double de la masse salariale des professeurs, M. Boisvert calcule que le financement public global se situerait entre 59 % et 66 % du budget total de 2,407 milliards de dollars.

Toutefois, selon les chiffres fournis par le vice-recteur à l'administration, Patrick Molinari, le montant consacré aux seuls salaires des professeurs réguliers à temps plein à l'U de M est, avec les avantages sociaux, de 125 millions. L'Université recevrait donc une subvention minimale de 250 millions, alors que cette subvention n'est actuellement que de 237 millions.

À la défense de M. Boisvert, il faut dire que les chiffres de M. Molinari ne tiennent pas compte de la comptabilité par activités.

L'université de rêve

Tout au long de son ouvrage, Hugues Boisvert dénonce l'«université usine» développée selon un modèle industriel, devenue une machine à produire des diplômes et où la relation avec l'étudiant est une relation commerciale avec un client. Par contre, son modèle d'université allégée inspiré de l'approche dite lean organization ou «organisation dégraissée» est lui aussi calqué sur l'industrie, notamment sur les industries automobiles américaine et japonaise.

Il faut donc comprendre que ce qui est remis en question, ce n'est pas tant l'alignement sur le fonctionnement industriel que le type de gestion industrielle auquel on a recours.

Le professeur est tout de même convaincu qu'une cure d'amaigrissement du côté du «superflu» serait de nature à rapprocher les universités de ce qu'il estime être l'«université de rêve» décrite par le Conseil supérieur de l'éducation (CSE). Selon le CSE, l'université doit se recentrer sur sa mission primordiale, qui est de «diffuser, produire et conserver les connaissances».

Il admet en outre qu'il pose plus de questions qu'il n'apporte de solutions. «Mon objectif était de présenter un point de vue différent, de livrer une information nouvelle et de stimuler la réflexion. Avant cette étude, ajoute-t-il, j'aurais probablement agi comme le font les recteurs présentement: réduire le nombre de professeurs, augmenter leur tâche, augmenter le nombre de chargés de cours et recruter plus d'étudiants. Avec ce que je sais maintenant, j'agirais différemment.»

Daniel Baril

Hugues Boisvert, L'université à réinventer, Saint-Laurent,
Éditions du Renouveau pédagogique, 1995, 91 pages.


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