Sonia Le Bris étudie le diagnostic préimplantatoire.
Il existe plusieurs
techniques pour connaître les défauts génétiques
ou morphologiques des nouveau-nés avant qu'ils viennent
au monde. L'amniocentèse et l'échographie sont les
plus connues. Mais le développement des recherches en biologie
moléculaire permet de croire que ces techniques vont se
multiplier et se raffiner.
«Quand j'ai entrepris ma thèse en 1990, je me suis
posé trois questions, explique Sonia Le Bris, chercheuse
au Centre de recherche en droit public et étudiante au
doctorat: le législateur doit-il intervenir dans ces matières?
Pourquoi devrait-il le faire? Enfin, comment le faire?»
Au cours de sa recherche menée conjointement à l'Université
de Rennes et à l'U de M, la jeune femme a comparé
l'approche de six pays en matière de nouvelles technologies
de reproduction (NTR). Résultat: avec le vide juridique
qui existe actuellement au Canada, c'est ici que l'on trouve le
moins d'obstacles légaux pour mener des recherches ou faire
de la clinique. Cela ne veut pas dire qu'on laisse faire n'importe
quoi. Les codes de déontologie ont un grand pouvoir d'autoréglementation.
Mme Le Bris s'est penchée plus particulièrement
sur le diagnostic préimplantatoire dans sa recherche. Cette
intervention, pratiquée en fécondation in vitro
alors que l'embryon n'est constitué que de 16 à
20 cellules, survient dans les cas où l'on craint l'apparition
d'une maladie grave. En prélevant une cellule, les chercheurs
peuvent voir si le gène responsable de la maladie est exprimé
ou pas. Si la réponse est positive, l'interruption du processus
a lieu avant même l'implantation de l'embryon dans l'utérus
de la mère.
«Le diagnostic préimplantatoire, c'est la rencontre
entre la fécondation in vitro et la biologie moléculaire,
signale Mme Le Bris. Cette technique soulève plusieurs
débats, notamment sur le statut de l'embryon. D'ailleurs,
nombre de gens qui y ont recours sont contre l'avortement.»
Actuellement, même si un certain nombre d'enfants sont nés
après l'avoir subi, le diagnostic préimplantatoire
est offert à titre expérimental. Il n'y aurait que
80 cliniques dans le monde qui le rendent disponible, principalement
en Grande-Bretagne et en Belgique. Au Canada, aucun centre ne
l'offre encore. «C'est justement la raison pour laquelle
je me suis intéressée à cette question: je
voulais observer l'émergence de la normativité et
de l'autorégulation dans le domaine des NTR.»
À la différence du diagnostic préimplantatoire,
le diagnostic prénatal est beaucoup plus courant. Mais
il est parfois mal compris. On craint qu'il ne serve à
des fins eugénistes. «De 3 % à 5 % seulement
des femmes à qui l'on présente un diagnostic prénatal
subissent une interruption volontaire de grossesse. Dans 95 %
à 97 % des cas, ces tests ne font que réconforter
les parents.»
Autres pays, autres moeurs
En Grande-Bretagne, une «haute autorité» en
matière d'embryologie et de fertilisation a vu le jour
en 1990. Cet organisme a accordé l'an dernier 120 autorisations
(licenses) aux cliniques de fertilité qui en ont fait la
demande en plus de produire des avis éthiques sur différents
sujets: recherche sur l'embryon, paiement aux donneurs, don de
tissus humains. À son conseil d'administration siègent
des médecins, des avocats et des universitaires, mais également
l'évêque d'Édimbourg, un économiste
et une actrice. En tout 20 personnes, dont 11 femmes.
Les cliniques qui reçoivent l'agrément de l'organisme
en question sont tenues de lui rendre des comptes: tous les résultats
doivent être communiqués afin d'établir des
données nationales précises sur les différentes
techniques de procréation médicalement assistée.
Malgré cela, la Grande-Bretagne serait plutôt conciliante
avec ses chercheurs, comparativement à la France et à
l'Allemagne, qui ont la réputation de favoriser l'encadrement,
le contrôle. «En France, c'est une commission nationale
qui a la responsabilité de conseiller le ministre sur ces
questions. Et le discours dominant est très critique envers
la science.»
Selon Sonia Le Bris, elle-même d'origine bretonne, le «modèle»
canadien est assez intéressant, même si l'État
intervient peu. «Ce n'est pas mauvais de laisser les professionnels
établir eux-mêmes des normes. Cela favorise la participation
des individus dans la prise de décisions. En France, il
y a encore des médecins qui ne livrent pas à leur
patient leur diagnostic de cancer.»
Quoi qu'il en soit, le vide juridique au Canada ne saurait subsister
longtemps. Les travaux de la Commission royale d'enquête
sur les nouvelles techniques de reproduction et de la génétique,
présidée par Patricia Baird, et du Groupe de discussion
sur la recherche sur l'embryon humain, présidé par
Jean-Louis Beaudoin, ont mené à la rédaction
du projet de loi C-47. Après sa deuxième lecture,
ce projet de loi a soulevé un tel tollé qu'une commission
parlementaire a été chargée de l'améliorer.
«Il est mal rédigé et manque de clarté»,
constate Sonia Le Bris, qui a fait connaître son opinion
dans la Revue du barreau canadien.
Il est probable, malgré tout, que le Canada s'inspirera
du modèle britannique pour sa structure décentralisée.
Le domaine de la santé étant de compétence
provinciale, le gouvernement du Canada ne peut pas tout décider.
Pour Sonia Le Bris, un modèle idéal est en tout
cas constitué du meilleur des deux mondes: une loi-cadre
nationale pour éviter les abus, complétée
par une réglementation interne élaborée par
les professionnels.
Mathieu-Robert Sauvé