Dans sa thèse de doctorat, Jean Lamarre aborde le
concept
de la culture de mouvement.
La Nouvelle-Angleterre
n'a pas été la seule terre d'accueil des immigrants
canadiens-français aux États-Unis dans la seconde
moitié du 19e siècle. Plusieurs milliers d'entre
eux se sont installés dans le Michigan, où ils se
sont totalement engagés dans la société américaine
au lieu de se replier sur eux-mêmes comme l'ont fait leurs
pairs au Massachusetts et dans les autres États du nord-est.
C'est ce qu'a découvert Jean Lamarre, qui a récemment
soutenu avec succès sa thèse de doctorat en histoire
sur l'immigration canadienne-française dans l'État
du Michigan. Il a étudié deux groupes totalisant
environ 20 000 Canadiens français qui ont immigré
dans la vallée forestière de la rivière Saginaw
et dans la péninsule minière de Keweenaw entre 1840
et 1914.
«Les Franco-Américains (les Canadiens français
immigrés aux États-Unis) sont arrivés dans
le Michigan avec une culture de travail. Ils connaissaient bien
la forêt et formaient une main-d'oeuvre qualifiée.
Plus expérimentés et mieux payés, ils étaient
plus indépendants, notamment face à l'influence
des élites cléricales», explique-t-il.
Les Canadiens français de la Nouvelle-Angleterre refusaient
de s'intégrer. Ils serraient les rangs dans des quartiers
appelés «Petits Canada», avaient leurs paroisses,
leurs écoles, leurs journaux et manifestaient peu d'intérêt
pour la vie sociale américaine.
Au Michigan, on retrouvait aussi des communautés francophones
avec leurs institutions, mais elles étaient beaucoup plus
perméables au reste de la société. «À
certains endroits, jusqu'à 60 % des immigrants canadiens-français
se sont fait naturaliser. Aussi, lorsque leur qualité de
vie était en jeu, ils n'hésitaient pas à
s'affirmer, comme ce fut le cas dans plusieurs grèves où
ils ont été très actifs, très tôt»,
rappelle Jean Lamarre.
Au Michigan, les Canadiens français ont également
été très présents dans les secteurs
des services, connexes à l'activité forestière.
Ils ont géré des hôtels, des pensions et même
des saloons. Ce dernier type d'établissement n'était
pas qu'un lieu de beuveries et de bagarres; il s'y déroulait
plusieurs activités sociales et communautaires.
Une participation plus active à la vie sociale a cependant
des impacts sur l'identité du groupe, qui s'assimile plus
vite. Aujourd'hui, seuls quelques noms de rues ou de familles
dans les cimetières témoignent de cette présence
francophone, alors qu'en Nouvelle-Angleterre il existe encore
quelques associations franco-américaines qui tentent tant
bien que mal de conserver des éléments de leur identité.
Culture de mouvance
Au début des années 1990, trois synthèses
de l'histoire franco-américaine ont été publiées
au Québec. Si elles faisaient une étude exhaustive
des aspects démographique, économique, politique,
social et culturel des Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre,
elles ne faisaient que peu, ou pas du tout, état de leur
situation dans le Midwest.
«Ça m'a mis la puce à l'oreille. Il était
temps qu'on ouvre un second front dans ce domaine», dit
Jean Lamarre, qui enseigne l'histoire des États-Unis et
de l'Europe au Collège militaire de Kingston, en Ontario.
Il faut ajouter que le Michigan est l'État qui a accueilli
le plus de Franco-Américains en dehors de la Nouvelle-Angleterre.
«Il a été pour le Midwest ce que le Massachusetts
fut pour la Nouvelle-Angleterre», ajoute l'auteur.
L'orientation de la recherche de M. Lamarre l'a amené à
mieux cerner et à définir ce qu'il appelle le concept
d'une culture de mouvance des Canadiens français. Ce sujet
est largement abordé dans sa thèse.
«En période de difficultés économiques,
le peuple canadien-français est un de ceux qui a le plus
bougé, qui est le plus mobile, en Amérique du Nord»,
dit-il.
Cette mouvance, Jean Lamarre l'a d'abord retrouvée à
l'intérieur des frontières du Québec. Devant
des problèmes d'appauvrissement des terres autour des zones
urbaines, on a moussé la colonisation en Abitibi et dans
d'autres régions éloignées. Quand les agriculteurs
ne sont plus arrivés à subvenir à leurs propres
besoins, on a commencé à parler d'exode rural. Puis
a eu lieu une émigration massive vers les États
de la Nouvelle-Angleterre, où plusieurs ont travaillé
dans les manufactures de textile.
Autre preuve de cette mouvance, une fois aux États-Unis,
c'est par milliers que les Canadiens français ont suivi
le déplacement de la frontière forestière.
Autrement dit, ils ont suivi le déménagement des
industries du bois, toujours plus vers l'ouest.
«En épluchant les listes de recensement, on peut
voir que, dans une famille, les parents sont nés au Québec,
les deux premiers enfants dans l'État de New York, les
deux suivants dans le Michigan, les deux suivants dans le Wisconsin»,
explique M. Lamarre.
Ce qui l'amène à conclure que «la mobilité
spatiale des Canadiens français sur le continent nord-américain
a été sous-estimée».
La thèse de Jean Lamarre est en cours de publication aux
Éditions du Septentrion.
André Duchesne