La vraie nature des plantes transgéniques
Malgré la controverse, Vincenzo de Luca croit
aux bénéfices des aliments transgéniques.
Il n'y a pas de plantes
"naturelles" dans les plantes cultivées pour
l'alimentation humaine.» C'est le premier commentaire qu'adresse
aux adversaires des aliments transgéniques Vincenzo de
Luca, professeur au Département de sciences biologiques
et chercheur à l'Institut de recherche en biologie végétale
de Montréal (IRBV).
À son avis, les méthodes transgéniques, auxquelles
il recourt dans ses travaux (voir l'encadré), ne sont que
des moyens plus performants pour poursuivre l'amélioration
des propriétés des plantes cultivées.
«Depuis des siècles, souligne-t-il, l'homme procède
à des croisements sur les plantes qu'il cultive, si bien
que nos aliments végétaux ont été
modifiés génétiquement et ne se retrouvent
pas dans la nature. La plupart d'entre eux ne pourraient d'ailleurs
se reproduire s'ils étaient laissés à eux-mêmes.»
On connaît tous le cas du maïs dont l'ancêtre
sauvage se perd dans la nuit des temps et qui a maintenant besoin
de l'intervention humaine pour assurer sa reproduction.
Ces croisements, par lesquels on mélange l'ensemble des
gènes de deux plantes de même famille, visent tout
autant à améliorer la productivité de la
plante que sa résistance aux agents pathogènes ou
encore la saveur et l'apparence de la partie comestible. «Depuis
une centaine d'années, poursuit le biologiste, on a ajouté
à la méthode de croisement des procédés
de mutagenèse par produits chimiques ou par irradiation
aux rayons X ou ultraviolets. Le brocoli et le chou-fleur que
tous consomment ont été produits par ces méthodes.»
Croisements et mutagenèses font maintenant partie de ce
que les chercheurs appellent «méthodes traditionnelles».
Depuis une quinzaine d'années, ils disposent de nouveaux
procédés qui permettent de cibler et de modifier
un gène déterminé ou encore d'introduire
dans la plante un nouveau gène; ce sont les méthodes
dites «transgéniques».
Selon le cas, on utilise soit un «canon à gènes»
qui permet d'introduire dans un chromosome des particules d'ADN
sélectionnées, soit une bactérie (l'agrobacterium
tumefaciens, un responsable de la gale végétale)
qui sert de véhicule au gène que l'on veut introduire
dans la chaîne d'ADN. Dans ce dernier cas, il faut ensuite
détruire la bactérie à l'aide d'antibiotiques.
Amélioration des cultivars
Même si les produits transgéniques entrant dans l'alimentation
humaine ou animale sont l'objet d'une vive polémique, le
professeur de Luca se veut rassurant. Il considère comme
essentiel, si l'on veut améliorer les méthodes d'agriculture,
de rendre nos cultures résistantes aux maladies.
«Il y a 200 espèces de maïs cultivées
au Canada, signale-t-il. Chaque année, les producteurs
de grains retirent une soixantaine de cultivars et les remplacent
par d'autres espèces modifiées afin d'éviter
les épidémies dans les régions de monoculture.
Ceci est nécessaire parce que les agents pathogènes
finissent par s'adapter aux nouvelles plantes. C'est une bataille
continuelle, mais nous sommes toujours en avance de 5 à
10 ans sur les résistances développées.»
Ces modifications se font encore par les voies traditionnelles,
mais la méthode transgénique lui paraît prometteuse.
Les gènes utilisés dans ces recherches peuvent être
d'origine végétale ou animale. Aux yeux du biologiste,
cette compatibilité met en évidence l'origine commune
des gènes et de leurs produits protéiniques, ce
qu'oublient ceux qui ne veulent pas de gènes animaux dans
leurs légumes.
La voie transgénique pourrait par ailleurs tout aussi bien
servir à éliminer certaines protéines allergènes
de quelque 300 aliments en circulation libre comme les arachides,
les fraises, le lait ou les fruits de mer. Même la pomme
de terre peut produire, dans certaines conditions, des doses mortelles
de solanine, un stéroïde présent en grande
quantité dans ses feuilles.
Un débat nécessaire
Face aux objections d'ordre épidémiologique ou environnemental,
Vincenzo de Luca s'en remet aux mécanismes de contrôle,
notamment ceux d'Agriculture Canada et de Santé Canada,
qui à son avis se sont avérés efficaces pour
détecter les risques avant que le danger se répande
dans la population ou dans la nature.
«Lorsqu'une plante transgénique risque de se reproduire
dans la nature, l'industrie la retire», soutient-il. Selon
le magazine Science et Vie de novembre 1996, la littérature
scientifique aurait déjà répertorié
une douzaine de transferts, en situation contrôlée,
entre des espèces modifiées et des espèces
sauvages.
Selon le professeur, les craintes soulevées par les opposants
sont exagérées et chaque cas doit être évalué
séparément. Il considère toutefois que le
débat est nécessaire et qu'il permettra de clarifier
la question dans l'opinion publique.
Plus que les arguments des écologistes, c'est la fin des
subventions pour la recherche fondamentale dans ce domaine que
craint Vincenzo de Luca. «Les bénéfices que
les pays du tiers-monde pourraient retirer de l'amélioration
des connaissances en biologie végétale viendront
surtout de la curiosité scientifique à la base de
la recherche fondamentale. Si les gouvernements ne financent plus
cette recherche, il ne restera que la recherche commanditée
par l'industrie. Or, le milieu industriel ne se préoccupe
pas de résoudre le problème de la faim dans le monde
mais d'accroître ses profits.»
Daniel Baril
Pervenche antileucémique
L'un des axes de recherche de l'équipe de Vincenzo de
Luca porte sur la pervenche de Madagascar, qui produit un alcaloïde
- la vincristine - utilisé en chimiothérapie pour
soigner la leucémie et la maladie de Hodgkin.
La synthèse artificielle de cet alcaloïde est peu
efficace, ce qui fait que la vincristine utilisée en médecine
provient totalement de pervenches cultivées. «Dans
un premier temps, nous cherchons à comprendre comment l'alcaloïde
est produit, explique le chercheur. Notre objectif est de modifier
le code génétique de la plante afin d'augmenter
la production de vincristine et de diminuer sa toxicité.»
L'équipe est parvenue à identifier et à cloner
plusieurs gènes responsables de la production de cet alcaloïde.
L'un d'eux, à l'origine de la triptofane décarboxylase
(une protéine produisant un précurseur de la vincristine)
fait déjà l'objet d'un brevet.
Comme ce gène se retrouve sous une forme apparentée
dans d'autres plantes, notamment la pomme de terre, Vincenzo de
Luca poursuit d'autres recherches avec le professeur Normand Brisson,
du Département de biochimie, afin de modifier ce gène
pour rendre certaines plantes toxiques aux agents pathogènes,
champignons et insectes.
«La pomme de terre produit une défense semblable
lorsqu'elle est attaquée par des champignons, observe-t-il.
Il s'agit donc d'une défense silencieuse que nous voulons
activer et renforcer. Même s'il existe déjà
sur le marché une pomme de terre "insecticide",
il est utile de disposer de plusieurs cultivars possédant
différents mécanismes de résistance aux agents
pathogènes.»
Des travaux semblables sont également en cours sur le tabac
et le colza. Dans ce dernier cas, on veut éliminer les
produits antinutritifs qui donnent un goût de soufre à
la viande de porc et de poulet lorsque ces animaux sont nourris
avec les résidus de colza.
D.B.