Le recyclage culturel, un phénomène historique
et transculturel.
Qu'ont en commun l'architecture
baroque, les films d'Humphrey Bogart, les tas de ferraille et
les disques de Michèle Richard? Ils sont tous à
la culture ce que le compost est au potager. En fait, ils peuvent
tous s'intégrer parfaitement dans un processus de recyclage.
Fini le temps où le concept de recyclage était uniquement
associé à l'économie et à l'écologie.
Le label des trois flèches qui font une ronde s'applique
dorénavant à la peinture, à la littérature,
à l'architecture, au cinéma et tutti quanti. Le
recyclage culturel, c'est in!
Pour Walter Moser, professeur au Département de littérature
comparée, le recyclage culturel fait partie des moeurs
occidentales, au point où l'on peut le qualifier de dominante
culturelle.
Ce sont toutes les facettes de ce concept que M. Moser et une
équipe internationale de chercheurs tentent de mieux cerner.
Le groupe, qui compte Silvestra Mariniello du Département
d'histoire de l'art et Éric Méchoulan du Département
d'études françaises, vient de publier un premier
ouvrage collectif, Recyclage: économies de l'appropriation
culturelle, aux Éditions Balzac.
Le recyclage culturel, ce peut être l'usage de ferraille
pour ériger une sculpture, l'emploi d'un ou de plusieurs
éléments d'une histoire pour en faire un thème
récurrent, l'ajout de la couleur à un vieux film
tourné en noir et blanc ou la construction d'immeubles
dans le style art déco.
«Avec le traitement numérique, on pourra faire n'importe
quoi. Comme prendre le visage de Greta Garbo et faire tout un
nouveau film à partir de ce visage», donne en exemple
M. Moser.
Le progrès technique
n'est donc pas étranger au phénomène de recyclage
culturel. Mais ce n'est pas le seul facteur. L'économie
capitaliste qui a «commodifié» l'oeuvre d'art,
c'est-à-dire qu'elle a fait de l'oeuvre une marchandise,
et la multiplication des modes de production sont aussi responsables
du phénomène.
Spécialiste en littérature comparée, c'est
évidemment dans les écrits, notamment dans les relations
entre les textes (intertextualité), que Walter Moser a
découvert les germes du processus. La citation, le pastiche,
la parodie et le plagiat sont des vecteurs de recyclage.
M. Moser en est rapidement venu à la conclusion que ce
concept touchait à toutes les formes d'art. Il arrive même
qu'il déborde le cadre du domaine culturel. Un bon exemple:
le personnage de Jean-Paul Belleau dans le téléroman
Des dames de coeur de Lise Payette a été repiqué
par un fabricant de voitures pour sa publicité (fonction
commerciale), ce qui a entraîné un procès
(fonction juridique).
Au rythme où le professeur multiplie les exemples, on se
demande si, finalement, tout n'est pas que recyclage. M. Moser
croit que non, bien qu'il admette qu'il n'est «pas toujours
facile de tracer la ligne». De là l'importance de
définir la spécificité du recyclage en analysant
chaque élément selon deux filtres: historique et
transculturel.
L'analyse historique a pour but de déterminer à
quel moment ont ressurgi certains styles ou modes, le baroque
par exemple, et pourquoi. Quant à l'analyse transculturelle,
elle concerne les phénomènes communs à deux
ou plusieurs cultures.
De nombreux éléments culturels de l'Amérique
latine se réclament de l'identité baroque, style
né en Europe et arrivé en Amérique avec les
colonisateurs. Son adoption par les Latino-Américains ne
manque pas d'intriguer le professeur Moser, qui y décèle
un recyclage à la fois historique et transculturel.
Les recherches du groupe s'orientent selon des thèmes bien
précis. L'an dernier, on s'est penché sur les matériaux
et la matérialité; cette année, on examine
la mémoire dans un processus de recyclage culturel. On
veut savoir si la mémoire culturelle d'un objet s'efface
lorsqu'on utilise (recycle) cet objet dans une nouvelle fonction.
Plus tard, on se penchera sur le concept de valeur. Une voiture
qui roule a une valeur; à la ferraille elle n'en a plus.
Mais si l'on prend cette ferraille pour en faire une installation,
on redonne une valeur à l'objet.
À propos de redonner une valeur à du matériel,
croyez-vous, professeur Moser, que si l'on prenait les disques
de Michèle Richard, Pierre Lalonde, Rosita Salvador et
Joël Denis pour en faire une grande muraille, on pourrait
réussir à...
André Duchesne