Les graffitis révèlent le mal de vivre.
Les murs n'ont pas que
des oreilles; ils ont aussi des yeux et des bouches. Aldina da
Silva s'est promenée dans les ruelles de Montréal
pour écouter ce qu'ils ont à dire. Ce qu'elle a
entendu n'est pas un murmure, mais un cri existentiel.
Professeure d'histoire à la Faculté de théologie,
Mme da Silva a voulu nous transmettre l'écho de ce cri
dans une exposition peu commune portant sur les graffitis des
murs de Montréal (1). Son attention a été
attirée par cette manifestation d'expression populaire
alors qu'elle renouait avec la vie. «J'étais atteinte
d'une maladie grave et l'on me donnait peu de temps à vivre,
raconte-t-elle. Cette lutte m'a donné de nouveaux yeux,
une nouvelle façon d'apercevoir la ville de l'intérieur
et de porter attention aux petites choses que l'on regarde sans
vraiment les voir, comme les chiens et les chats, les poubelles,
les fleurs, les graffitis...»
Aldina da Silva dresse même un parallèle entre son
parcours intérieur et l'intérieur de la ville à
qui elle prête corps et vie. «Les veines sont les
rues, les ruelles, les entrées de cours, les parcs... Le
sang est représenté par les graffitis qui sont symbole
de vie et d'affirmation de soi», écrit-elle dans
les textes accompagnant l'exposition.
Cri de révolte
Elle a été frappée par le caractère
existentiel de ces graffitis qui, selon elle, révèlent
un mal de vivre et témoignent de l'existence précaire
de ceux «qui n'ont que les murs pour parler».
«En écrivant sur les murs, le graffiteur exprime
sa révolte, son désir désespéré
de se faire entendre. Il crie "Je suis là".»
Pour la théologienne, le graffiti a ainsi une valeur thérapeutique:
«Il rend moins lourde l'angoisse causée par la conscience
de sa propre finitude. En écrivant sur le mur sa détresse,
on s'approprie la vie.»
C'est ce qu'a voulu faire une jeune femme en écrivant «Survivre
sera bientôt illégal» ou encore l'adolescent
qui inscrit le nom de sa copine dans un coeur: «Il avoue
son amour secret, mais surtout il fixe cet amour et le rend ainsi
possible.»
Mme da Silva a été étonnée par l'aspect
noir et dépressif des graffitis des jeunes. «Il n'y
a pas de graffitis joyeux, a-t-elle remarqué. Les adolescents
se demandent pourquoi la vie, ils sont préoccupés
par le suicide et leurs mots reflètent un malaise profond.»
Des exemples: «Pourquoi en la nuit recherché l'aurore?»
(sic), «Notre héritage = du vent», «Ils
ont le pouvoir, nous avons la nuit».
Les jeunes lui semblent obsédés par un sentiment
d'échec et d'ennui total. «À leur âge,
écrit-elle, leur épanouissement devrait être
assez débordant pour que les murs chantent au contact de
leurs mains.» Mais elle n'a relevé que quelques exceptions
allant dans ce sens comme «Vagues incessantes de joie»
ou «Les gitans reviennent toujours sur les lieux de leurs
amours».
Une autre caractéristique de nos graffitis, contrairement
à ceux des autres grandes villes, est qu'ils ne sont pas
violents. On peut bien sûr lire quelques «KKK»
ou «À bas les nègres», mais ils ne constitueraient
que 20 % des graffitis répertoriés.
La misère et la révolte reviennent en revanche très
souvent et donnent parfois lieu à des trouvailles littéraires
comme «Faim de tout», «Unis contre le mal-être
social», «Pas de riches dans mon quartier/pas de quartier
pour les riches». Des moralistes sont également à
l'oeuvre; au graffiti «Make love» quelqu'un a ajouté
«si marié (sinon c'est l'enfer)»...
Le Dieu des murs
Mais l'aspect le plus
étonnant de nos graffitis est la fréquence des allusions
à Dieu ou à la religion, que l'on retrouve dans
30 % à 40 % de l'échantillon d'Aldina da Silva.
«C'est surprenant alors que les jeunes se disent athées.
Mais s'ils cherchent à dire Dieu, en groupe et publiquement,
c'est parce qu'ils le cherchent tout en se cherchant.»
Le Dieu des murs est par contre un Dieu bien ridicule puisque
inutile, convient-elle. Et la gifle est parfois cinglante: «Le
ridicule tue/Dieu est mort», «Je me suis tromper,
[signé] Dieu» (sic), «Jésus-Christ,
violeur de conscience». Même les murs des églises
n'y échappent pas, où l'on peut lire «Ni Dieu
ni maître». Et comme l'anarchie ne serait que fantaisie
si elle n'était pas totale, d'autres y ont ajouté
un ingrédient féministe: «Ni dieux ni maîtresses»!
Pour la théologienne, des graffitis de cette nature et
des messages aussi clairs que «Église complice des
provie» ou «Jé$u$ ¢ri$t» ne relèvent
pas de l'anticléricalisme mais reflètent un état
de réflexion chez les jeunes. «Si Dieu est décrit
ainsi, c'est sans doute parce qu'on l'a toujours présenté
comme ayant une clé pour toutes les serrures et que, trop
souvent, cette clé n'ouvre pas les portes.»
Aldina da Silva travaille présentement à la réalisation
d'un album de photos qui présentera ces graffitis avec
ses commentaires. L'exposition actuelle est complétée
d'un mur sur lequel les visiteurs peuvent griffonner leurs propres
graffitis. À la deuxième journée de l'exposition,
le mur était pratiquement rempli!
Daniel Baril
(1). Échos des murs de Montréal, du 26 novembre
au 7 janvier, à la Galerie du Service des activités
culturelles, Atrium du Pavillon Samuel-Bronfman.