Dans cette «course Destination Intermonde»,
le télescope Canada-France-Hawaï marque une longueur
d'avance
sur le télescope Hubble.
René Racine, professeur
au Département de physique et directeur de l'observatoire
du mont Mégantic, pourrait bien être l'un des premiers
terriens à observer la présence de planètes
autour d'une étoile autre que le Soleil.
La course à une telle observation est en effet ouverte
depuis que l'on a déduit la présence de planètes
autour de quelques étoiles situées à proximité
- c'est-à-dire à moins de 40 années-lumière
- du système solaire.
«Pour l'instant, la présence de planètes n'est
que soupçonnée à partir de la mesure des
variations gravitationnelles de ces étoiles, explique le
chercheur. Si des planètes gravitent autour d'une étoile,
elles exercent sur elle une force d'attraction qui devrait perturber
le déplacement de l'étoile.»
De telles perturbations infimes ont jusqu'à maintenant
été mesurées sur cinq ou six étoiles.
Il reste à démontrer les calculs par l'observation
directe.
Cet enjeu constitue même l'un des objectifs de la prochaine
génération de télescopes spatiaux. La NASA
serait prête à investir des milliards de dollars
dans un programme d'une vingtaine d'années pour tenter
d'obtenir des images détaillées d'une planète
avec ses continents «et peut-être même avec
ses petits hommes verts», dit René Racine avec ironie.
Peut-être parviendra-t-on à voir une rose sous verre
avec un petit prince...
L'optique adaptative
Pour l'instant, les attentes sont plus modestes. On compte tout
au plus observer un point pâle et minuscule dans un nuage
de poussière entourant les étoiles candidates. Pour
effectuer cette observation, les astrophysiciens munissent leur
télescope d'un coronographe, dispositif qui éclipse
l'éclat de l'étoile afin de faciliter l'observation
de son environnement immédiat. À l'observatoire
Canada-France-Hawaï (CFH), où aura lieu cette expérience,
le coronographe sera utilisé en association avec ce que
le professeur Racine estime être la «meilleure caméra
à infrarouge au monde» et avec un système
d'optique adaptative.
«L'optique adaptative est un système informatique
qui permet de corriger les déformations d'images causées
par les perturbations atmosphériques. Les vents violents
brouillent l'image des objets observés un peu à
la manière de l'eau qui coule sur des cailloux. Nos appareils
enregistrent ces turbulences et font onduler en conséquence
le miroir secondaire du télescope afin de donner une image
plus précise et toujours nette.»
Ce miroir secondaire, très mince et d'un diamètre
de seulement neuf centimètres, est celui placé en
haut du télescope et qui reçoit la lumière
réfléchie et concentrée par le miroir primaire.
La correction de l'image se fait en temps réel. D'autres
télescopes dans le monde sont dotés de tels systèmes
de correction d'images, mais la technologie utilisée sur
le CFH est unique et constitue ce qu'il y a de plus avancé
dans le domaine. Le système a été conçu
par François Roddier et mis au point par Robin Arsenault
spécialement pour le CFH une fois que René Racine
a eu convaincu les autorités politiques de l'importance
de doter le télescope d'un tel dispositif.
Cette technologie d'avant-garde permet aux télescopes terrestres
d'atteindre une qualité d'image, en lumière visible,
comparable à celle du télescope spatial Hubble.
Par contre, Hubble n'est doté que d'un miroir de 2,5 mètres
alors que celui du CFH fait 3,6 mètres; les chances de
ce dernier dans la course aux planètes n'en sont donc que
plus grandes. Là où Hubble ne voyait par exemple
qu'une étoile, le CFH a vu qu'il s'agissait d'une étoile
double.
Gloire et modestie
L'ensemble de l'appareillage utilisé par René Racine
pour cette observation a été testé et mis
au point à l'observatoire du mont Mégantic, qui
appartient à l'Université de Montréal. Le
chercheur prépare son expérience depuis deux ans
et sera prêt à procéder en novembre prochain.
Trois nuits d'observation lui sont réservées au
CFH au cours desquelles il sondera une demi-douzaine d'étoiles.
Quant au plus proche concurrent, l'Association d'universités
pour la recherche en astronomie (AURA), qui gère le télescope
Hubble, il ne sera prêt qu'au printemps 1997 parce que Hubble
n'est pas encore équipé d'un coronographe. Il ne
le sera qu'au cours d'une mission de la navette spatiale prévue
pour décembre prochain.
M. Racine estime ses chances de réussite à une sur
trois. «Ça dépend de la bonne marche de nos
appareils, de leur performance et de la clarté du ciel.»
L'expérience aura également pour objectif de détecter
la présence d'étoiles naines brunes. Selon une hypothèse,
ces étoiles très faibles jamais encore observées
pourraient constituer 90 % de la matière de l'univers;
c'est ce que les astrophysiciens appellent la masse manquante
ou la matière sombre. De ce côté, René
Racine évalue ses chances de débusquer des naines
brunes à 75 %.
L'idée d'être possiblement le premier à réussir
l'observation de planètes hors du système solaire
fait rêver l'astronome. «Ce serait la gloire»,
reconnaît-il. Mais la modestie du scientifique reprend aussitôt
le dessus. «Nous connaissons neuf planètes; qu'il
y en ait une de plus ou de moins ne changera pas grand-chose.
La véritable motivation est de relever le défi technique
que pose une telle observation.»
Loin de se laisser éblouir par le rêve légitime,
René Racine ne perd pas de vue le questionnement caractéristique
du chercheur. «Nos connaissances sur la formation des étoiles
nous laissent croire que la présence de planètes
serait la règle générale. Pourtant, nous
n'avons trouvé qu'une demi-douzaine de candidates. Connaît-on
vraiment comment se forment les étoiles?» se demande-t-il.
Daniel Baril